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y exposer les mesures qui nous sont appliquées et en donner les raisons : pourvu que ce soit en termes corrects, la censure laissera tout passer. »

Le départ est fixé au dimanche 13 : nous ignorons totalement la direction que nous devons prendre. Nous hésitons entre les diverses régions de marécages marquées sur nos cartes. Aussi bien, nous avons pris notre parti de la situation ; ce qui nous chagrine, c’est l’inquiétude de nos familles, lorsqu’elles sauront... Mais quoi ! Nous serons en bande, nous allons voir du pays, la monotonie de cette vie de camp est rompue. Nous sommes presque gais !


LE TRAVAIL DANS LES MARAIS

Dimanche, 13 juin. — Nous avons été rassemblés, comptés et recomptés dans chaque compagnie. Les officiers nous ont passés en revue, curieux de nos figures. Nous mettons notre coquetterie à garder un calme parfait, nous avons le sourire. Comme nous sommes des « représailles, » les sentinelles ne nous ménagent pas les brutalités. Maintenant, les groupes s’ébranlent et de tout le camp montent les cris affectueux, les « au revoir » de tous ceux qui restent, auxquels nous répondons à notre tour : un même cri de « Vive la France ! » se répercute à travers toutes les baraques.

Nous sommes 2 000 environ. La colonne serpente sur la route qui borde le camp. Tous nos camarades sont aux grillages, et leurs cris nous accompagnent longuement. Nous traversons le camp d’instruction allemand, tout grouillant de nouvelles recrues, la plupart encore en civil avec le petit calot rond sur la tête. Comme c’est dimanche, des femmes, des enfans, tout un peuple de badauds est venu en famille assister à notre départ. Le long de la voie principale, des deux côtés, une haie compacte attend notre passage. Alors devant cette basse curiosité, ceux des nôtres qui sont en tête de la colonne se redressent tout suans sous les bagages et, d’une seule voix, entonnent le Chant du Départ. De proche en proche, la volonté de défi se propage : c’est comme une traînée de poudre ; de toutes les poitrines, rythmant nos pas, le chant français monte, éclatant à la face des Boches. Leurs ricanemens d’insolence en son, arrêtés net : ils ne comprennent rien à notre attitude ; c’est