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nous étreignait ; des voix ont chuchoté longtemps dans la nuit... Ainsi s’est passé ce 14 juillet en terre allemande !

Beaucoup de vipères. Des hérons en bandes ; nous en avons adopté un, blessé, qui reste maintenant près de notre baraque.

Le temps devient très mauvais : vent aigre, pluie. Une buée lourde, humide. Les moustiques tourbillonnent par myriades. On craint une épidémie de diphtérie. Plusieurs cas suspects ont été constatés. Mais ni le temps ni la maladie ne mettent d’interruption dans le travail...

Il nous est arrivé un vieux chien de quartier prussien, mi-adjudant, mi-lieutenant, à voix tonitruante. Il exige, aux rassemblemens, les commandemens en allemand. Par tous les moyens, nous protestons et renâclons. Mais il sait se dissimuler derrière les baraques, il épie les groupes, et tout à coup bondit derrière nous, hurlant, son grand sabre dans les jambes, saisit l’un de nous au collet et le bourre de coups de poing ; les sentinelles s’en mêlent, et, chaque soir, une dizaine d’entre nous couchent en prison.

La proximité de la mer et surtout de la frontière hollandaise, hante les esprits. Des plans d’évasion s’élaborent en secret. C’est merveille de voir quelles mystérieuses ressources nous transportons dans nos bagages, en dépit de toutes les surveillances et de toutes les fouilles. On a su se procurer cartes, boussoles, lampes ; des réserves de vivres ont été constituées, que la faim a toujours respectées. Deux méthodes : évasion par chemin de fer, évasion à pied. Ceux qui parlent allemand utilisent la première. Ils s’habillent en civils : on voit alors surgir comme par enchantement des complets, des costumes de touristes qu’on a pu sauver des larges badigeonnages de peinture à l’huile, que les Allemands appliquent sur tous les vêtemens non militaires que nous recevons de France. De petites sommes d’argent en monnaie allemande ont été réservées, malgré les investigations, malgré l’échange obligatoire, à notre arrivée, de cette monnaie contre du papier en forme de timbres-poste, qui n’a cours que dans le camp.

Celui qui tente la chance à pied part en paysan ou en ouvrier, avec des provisions de bouche. Il ne devra marcher que la nuit : la grande difficulté, pour atteindre la Hollande, est la traversée de la W... qui est fort large. Les départs s’effectuent des lieux de travail. Par groupes de deux, chaque semaine,