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l’âme, pour épargner à l’un ou à l’autre de nous l’irréparable !

La chaleur devient terrible ; notre débilité s’en augmente d’autant. La carrière surchauffée est une fournaise. Plusieurs d’entre nous tombent de faiblesse, restent longtemps sans connaissance. Les infirmiers n’ont que de l’eau, pour les faire revenir à eux : le lendemain, renvoyés au travail.

Encore une scène de brutalité sauvage. Hier, Peter s’est acharné sur l’un de nous et, d’un coup de bambou, particulièrement violent, lui a zébré la figure. Sous la douleur, dominé par la rage, l’autre a riposté, et, d’un crochet au menton, a fait osciller Peter chancelant jusqu’au bord du trou... Stupeur. Des sentinelles se précipitent. Peter se relève. C’est la chasse à l’homme ; notre camarade s’esquive parmi nos groupes. Une sentinelle l’atteint, le perce à la cuisse de sa baïonnette qu’il retire ensuite de la plaie et essuie tranquillement dans le sable. « Gut, » dit Pettr. Un grand cri : « A moi, les amis ! » Nous restons figés, une sueur froide aux tempes. Autour de nous, sur les bords du trou, les sentinelles goguenardes, le fusil en arrêt, ont le doigt sur la détente... Notre camarade perd abondamment le sang de sa cuisse transpercée. Nos infirmiers le transportent au baraquement, sur une brouette a fumier. Le travail recommence. Peter, les sentinelles, hurlent, frappent à tort et à travers. Les brouettes grinçantes gémissent lugubrement dans cette géhenne. La rage, le désespoir nous étreignent.

Le camarade qui a reçu le coup de baïonnette a été pansé, et depuis il git dans le sombre réduit de son bas-flanc. Une instruction est ouverte contre lui, il passera en conseil de guerre, et ce soir, quand nous sommes rentrés, les Allemands l’ont fait transporter dans une des niches de la prison. Le malheureux, qui ne peut se tenir debout, aura à peine la place de rester allongé par terre, tant c’est exigu, en longueur et en largeur. Pain et eau, une soupe tous les quatre jours. C’est le régime...

Naturellement, se trouver à 30 kilomètres de lignes de chemin de fer a fait naitre chez plusieurs une violente tentation de s’évader. Une trentaine, deux par deux, ont déjà essayé depuis notre arrivée ici. Tous ont été repris et cruellement punis. La plupart, sans cartes, ni renseignemens suffisans sur la région, se sont perdus dans les forêts inextricables, dans les