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de l’existence de 8 Kommandos semblables, et des sentinelles nous ont dit qu’il en existait 8 répartis sur le front russe. Ainsi nous sommes 20 000 Français, pour qui cet affreux régime a été inventé ! Nous sommes 20 000 hommes employés depuis février, avril ou mai à construire des chemins de fer ! Voilà donc la vérité. La belle saison venant, il leur fallait des bras, des milliers de bras pour établir des kilomètres et des kilomètres de routes et de voies ferrées. Pour cela, nul besoin de spécialistes : tout le monde est bon pour manier une pelle ou une brouette. Et c’est si simple de décréter « Mesures disciplinaires, » « Représailles ! » Et alors, travail ! travail ! S’il en est dont la santé s’effondre, si, dans quelques mois, vidés, claqués comme les chevaux fourbus, ils tombent, qu’importe ! le travail sera fini. Sinon, on comblera les vides par de nouveaux venus, de nouvelles victimes.

Le soir, au rassemblement, l’Hystérique, qui parle quelque peu français, nous jette de sa voix convulsée : « J’ai « entendu » que vous travaillez mal. Les adjudans, les sergens-majors, sortez des rangs. Pourquoi vous ne faites pas travailler « ces « gens ? » — Nous ne sommes pas ici pour faire travailler. — Ah ! Ah ! vraiment ! eh bien ! allez en prison, tout de suite ! » Cependant nous nous plaignons que, souvent, la viande distribuée est pourrie et que la soupe, depuis longtemps, est si claire que nous sommes très affaiblis et que nos forces vont s’épuisant. « Ah ! Ah ! très bien. Nous regrettons beaucoup, mais dites ça à votre amie l’Angleterre. C’est sa faute, c’est la faute au blocus. Et vous, continuez à travailler. » A cette réponse, des murmures partent de nos rangs. Aussitôt, son acolyte, le petit caporal diablotin, surnommé « Méphisto, » glapit et fonce sur nous à coups de bottes. Nous sommes à la merci de ces deux névrosés. Les coups semblent exciter en eux une joie sadique. L’Hystérique, ses gros yeux ronds pâmés, agite faiblement la main, et d’une voix mourante : « Unter officier, cessez, cessez... » Peter s’agite et voudrait bien prendre part à la fête. Le cordon de sentinelles, dans notre dos, nous serre de près. Le petit caporal, la barbiche en danse, revient auprès de l’officier, en claquant les talons, frétillant comme un chien en quête de caresses. Oh ! ces séances, ces rassemblemens, où ils nous tiennent comme des bêtes traquées à leur merci, et où collectivement il faut abdiquer tout sentiment personnel, la mort dans