Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 44.djvu/184

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.



À PIERRE BONTEMPS, SCULPTEUR


En vain, pendant longtemps, nul n’a parlé de toi ;
Tu fus l’égal des plus fameux, comme l’atteste
Ce beau vase de marbre où dort le cœur d’un roi.

Maître que noblement ton œuvre manifeste.
Et qui survis par elle ici-bas, aujourd’hui,
Tu t’es caché ; tu fus trop fier ou trop modeste.

Loin du tumulte et des rumeurs, tu t’es enfui
Dans l’austère atelier de labeur et d’étude
Où ne pénètre pas le dégoût, ni l’ennui.

Jour après jour, penché sur ta besogne rude,
Sentant chaque matin s’accroître ta vigueur,
Amoureux du silence et de la solitude,

Tu travaillas, heureux de te sentir vainqueur,
De voir sous tes doigts vivre et resplendir la pierre,
Et dans le marbre pur tu mis aussi ton cœur.

Artiste qui venais d’un pays de lumière,
De la Provence où si joyeux est l’horizon,
L’évoquais-lu parfois en fermant la paupière ?

Le Nord le semblait-il une morne prison ?
Ces reines de beauté qui furent tes modèles,
Vinrent-elles jamais habiter ta maison ?

As-tu langui, souffert, pleuré pour l’une d’elles ?
Ton art italien trahit-il un regret ?
Connus-tu la douceur des tendresses fidèles ?

Qui nous révélera quel désir t’inspirait.
Quel souvenir hantait ta mémoire asservie ?...
Glorieux inconnu, tu gardes ton secret.