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vers Liège le bétail de la région frontière ? Une rumeur angoissée faite de questions, de réponses, de confidences remplissait la salle. Le banc des ministres était vide. Un conseil avait été convoqué pour neuf heures au Palais, et les membres du gouvernement ne devaient arriver au Parlement que peu de temps avant les souverains. Des groupes animés de sénateurs, de députés, de journalistes, discutaient sur la situation ; les nouvelles de Londres et de Paris passaient de bouche en bouche ; les parlementaires se communiquaient des détails sur la mobilisation, sur les mouvemens de troupes, sur l’état d’esprit des populations, ils constataient combien l’élan du pays avait été spontané, unanime, sur tous les points du territoire, et quelle harmonie régnait, avant tout débat, parmi les membres de l’assemblée. Quelques uniformes attiraient les regards. Parmi les sénateurs, on se montrait le duc d’Ursel, portant la vareuse grossière d’un cavalier dos Guides, engagé de la veille malgré ses quarante ans. Tondu à l’ordonnance, vêtu d’un « lasalle » réglementaire, rien ne distinguait le grand seigneur patriote d’une modeste recrue accourue la veille sous les drapeaux. M. Hubin, député socialiste de Huy, portait la tenue de sous-officier d’infanterie rengagé à la mobilisation. D’autres engagemens étaient annoncés.

À neuf heures et demie, un coup de sonnette avait un instant interrompu le brouhaha des conversations. Le président de l’assemblée procédait au tirage au sort des délégations qui devaient, suivant le protocole, recevoir le Roi et la Reine à l’entrée du Palais de la Nation. Quatre membres se rendirent au-devant de la Reine, et douze au-devant du Roi. Les ministres vinrent ensuite, portant sur le visage la trace des préoccupations angoissantes de ces dernières heures. Ils sont très entourés. Beaucoup de députés se rendent dans la salle de lecture pour voir l’arrivée du cortège royal qui vient de quitter le Palais.

Une rumeur, en effet, arrive de la ville par les fenêtres largement ouvertes, jusque dans la salle des séances, une rumeur confuse, lointaine d’abord, puis plus précise. On la devine, montant autour des vieux ormes du parc, sous l’éclatant soleil de cette matinée tragique. C’est la grande voix du peuple qui acclame le Roi, qui acclame la Reine et ses enfans. Des notes cuivrées, clairons et trompettes sonnant aux champs,