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son portrait, suppliant, avec beaucoup de protestations de dévouement et de respect (c’étaient là ses propres mots), ses confrères, puisqu’il ne pouvait se trouver au milieu d’eux aussi souvent qu’il le désirait, de permettre qu’il y fût au moins en peinture, et que cette peinture fût un gage toujours présent de son zèle pour la Compagnie. Le don fut accueilli par des acclamations. Seul Valincour devina la gloriole secrète qui faisait désirer au maréchal d’avoir son portrait dans la salle des séances où se trouvaient seuls ceux des deux rois et des deux ministres protecteurs. Et pour lui faire pièce il fit don à l’Académie des portraits de Boileau et de Racine. Bientôt Corneille, La Fontaine, Bossuet, Fénelon, parurent à leur tour, puis d’autres, et ainsi commença la collection des portraits académiques.

L’année suivante, ce fut le maréchal d’Estrées, qui fut admis. Celui-là avait une admirable bibliothèque, aimait les écrivains, était l’ami de Montesquieu et écrivait avec beaucoup de grâce et d’éloquence. Cinq ans plus tard, en 1720, l’Académie recevait un jeune homme de vingt-quatre ans, qui avait justement fait, sous les ordres de Villars, la belle campagne de 1712 et qui, de sa courte existence, avait déjà passé vingt-cinq mois à la Bastille en trois séjours : une première fois, il avait fait une pénitence de quatorze mois pour sa débauche et son libertinage ; une seconde fois, à vingt ans, il avait été enfermé six mois à la suite d’un duel ; et une fois encore en 1719, pendant cinq mois, pour avoir trempé dans la conspiration de Cellamare : c’était Louis-François-Armand Duplessis, duc de Richelieu, qui sera fait maréchal pendant la guerre de Succession d’Autriche. Il était tout frais sorti de sa prison, et il était l’idole des dames de la cour, quand l’Académie l’appela à succéder au marquis de Dangeau. Comme il n’avait jamais écrit et qu’on ne pensait pas qu’il fût capable de composer un discours, Destouches lui en fit un, Fontenelle un second, et Campistron, un troisième. Il les accepta tous trois, et en fit un quatrième, qu’il lut : ce discours fut trouvé gracieux et spirituel ; mais il était tout rempli de fautes d’orthographe. Peu d’académiciens ont siégé aussi longtemps, car il n’est mort qu’en 1786, et il a été soixante-six ans de l’Académie française et cinquante-sept ans de l’Académie des Inscriptions.

Le quatrième des maréchaux que l’Académie a reçus jusqu’ici est le maréchal de Belle-Isle. Il était né en 1684. Il s’était illustré par la retraite de Prague en 1742, puis par la campagne de Provence, d’où il chassa les Anglais. Après la paix d’Aix-la-Chapelle,