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maréchal depuis 1741, duc depuis 1742, pair de France depuis 1748, il voulut encore être académicien. Le premier fauteuil, celui de Godeau, puis de Fléchier, puis de Nesmond, avait été, après ces trois évêques, occupé par le ministre des affaires étrangères, Amelot. Amelot mourut en 1749. Quelques conseillers mal avisés persuadèrent le maréchal de se dérober à l’usage des visites. Mais il se ravisa, et ayant ainsi satisfait à l’usage, fut élu tout d’une voix. Il avait soixante-cinq ans. Occupé des affaires publiques, il fut d’ailleurs un académicien peu assidu.

Le maréchal de Beauvau fut élu en 1770. Il n’était pas homme de lettres, quoiqu’on ait une lettre de lui à l’abbé Desfontaines sur des questions de syntaxe... Enfin le maréchal de Duras fut élu en 1775. Il n’a laissé aucun écrit.


Le vainqueur de la Marne est donc le septième maréchal de France qui se vient asseoir entre les gens de lettres. Son élection avait été prophétisée par Renan le jour où celui-ci, recevant M. de Lesseps, avait promis un accueil triomphal au général qui aurait rappelé la victoire. Le sentiment de Renan n’a pas cessé d’être celui de l’Académie. On a voulu que la première élection, après trois ans, fût toute nationale ; que les questions de partis n’eussent aucune raison d’y paraître , que cette élection fût unanime ; et qu’enfin elle fût un hommage à l’armée qui venait de sauver à la fois le sol et l’esprit français.

Sauver l’esprit français ! Beaucoup de combattans seraient étonnés de cette phrase, ou choqués, ou excédés. Il n’y a rien de si dépourvu d’emphase que l’esprit d’un troupier français. Cette simqlicité paraîtra son plus beau trait. Il est en service commandé, il fait sa besogne, il voudrait qu’elle fût finie, mais il la poursuivra jusqu’au bout. Les grands mots l’exaspèrent, quoique, sans y penser, il trouve lui-même des mots sublimes. Il a horreur de l’emphase, ce trait fondamental du germanisme, et par là il est bien de chez nous et nous défend encore. Il a horreur d’entendre dire qu’il est un héros. A juste raison : car il est un soldat, et c’est beaucoup plus beau. Mais il faut bien se dire pourtant que ce soldat a sauvé tout l’héritage d’idées et de sentimens que nos pères nous ont légué. Il a arrêté l’invasion sur une ligne qui va approximativement de l’évêché de Bossuet à la patrie de Racine et de La Fontaine. Et chaque fois que dans l’avenir un écrivain de génie, de la pure race de France,