Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 44.djvu/289

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

après de brillans succès, échoue dans sa tentative, dont il ne reste que des chansons épiques. Mais l’effort en vue de la libération n’est pas brisé, et la Serbie passe successivement par les différentes phases de l’émancipation, province autonome de l’Empire ottoman, principauté héréditaire et vassale du Sultan, avant de conquérir, avec l’aide de la Russie, l’indépendance complète, que lui reconnaît le congrès de Berlin. Un royaume nouveau est formé, modeste héritier de celui du tsar Douchan, de la Grande Serbie du XIVe siècle.

A peine ce peuple est-il devenu tout à fait libre que sa liberté est menacée par son voisin du Nord. La monarchie des Habsbourg, au contraire de la Russie, n’avait rien fait pour la délivrance des Serbes. Maîtres de Belgrade, que leur avaient donnée les victoires du prince Eugène, les Impériaux ne furent pas capables, au cours du XVIIIe siècle, de conserver leur conquête contre un retour offensif des Ottomans. Après la guerre russo-turque de 1877, l’Autriche Hongrie joua le rôle du troisième larron qui s’approprie la plus riche part du butin. Au congrès de Berlin, elle se fit adjuger la Bosnie et l’Herzégovine sous la suzeraineté nominale du Sultan. Coup droit porté aux espoirs des patriotes serbes et à la reconstitution intégrale de leur ancienne patrie. Après lui avoir barré ainsi toute expansion vers l’Ouest, le cabinet de Vienne pendant vingt-cinq ans pèsera sur le petit royaume de tout le poids de sa puissance politique et économique, pour en faire le vassal de l’Empire dualiste. « La Serbie est comprise dans la sphère d’influence de l’Autriche-Hongrie, » osait affirmer le comte Mensdorf à sir Edward Grey, après l’envoi de l’ultimatum mortel à Belgrade. N’ayant pas réussi à la domestiquer, les ministres de François-Joseph avaient décidé de la réduire à l’état de fief ou de province de la monarchie. C’est la poursuite implacable de ce dessein, lié au plan d’ensemble d’hégémonie germanique sur l’Europe continentale, qui a provoqué l’embrasement de 1914. Le crime de Serajewo ne fut que le prétexte invoqué par les incendiaires.

Y a-t-il rien de plus poignant et de plus tragique que l’histoire de ce peuple valeureux, à qui le destin semble refuser la liberté, aussi nécessaire à son existence que l’air pur de ses montagnes ; de ce peuple, deux fois étouffé par l’invasion musulmane ou chrétienne, et qui ne veut pas mourir ? Après de longs efforts, il s’était affranchi d’une servitude quatre fois