Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 44.djvu/290

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

séculaire, la plus honteuse dont l’Europe d’autrefois ait eu à rougir, mais c’est pour devenir l’esclave d’un autre ennemi, qu’une longue civilisation n’empêche pas d’égaler en violence et en cruauté les milices des Sultans.


II

A cette renaissance d’une nation, cherchant à s’organiser pour prendre place dans la communauté européenne, est venue se mêler au siècle dernier la rivalité de deux familles princières. L’une est issue du héros populaire, Kara George, l’autre de Miloch Obrénovitch. Après le soldat, le politique ambitieux. Ce dernier fonde son pouvoir despotique sur les concessions qu’il arrache à la Porte, mais il inaugure en même temps une sorte de vie nationale. L’antagonisme des Karageorgévitch et des Obrénovitch est jalonné par des assassinats, sillonné par des proscriptions, jusqu’à ce que le dernier roi de la dynastie des Obrénovitch disparaisse dans une sombre conspiration militaire qui frappe d’horreur les amis mêmes de la Serbie. L’histoire de ces deux familles semble un anachronisme à notre époque, quelque page déchirée des annales d’une république italienne du moyen âge. La fin sanglante d’Alexandre Obrénovitch a empêché les sympathies des nations occidentales de se porter, autant qu’il le méritait, sur le peuple serbe, dont la résistance à la politique d’absorption de l’Autriche fi)t un drame autrement intéressant que celui de sa famille royale et passa longtemps presque inaperçue. On n’a enfin compris à l’étranger que l’existence même de la Serbie était en question, qu’en lisant avec stupeur l’ultimatum du 23 juillet 1914.

En fait, les Obrénovitch occupèrent le trône beaucoup plus longtemps que leurs rivaux. Ceux-ci n’y firent qu’une apparition de quelques années, avant d’y remonter définitivement. Alexandre Karageorgévitch gouverna pacifiquement pendant seize ans, de 1842 à 1858, sous le contrôle du chef de la garnison turque de Belgrade et du consul autrichien, en s’efforçant de ménager à la fois ces deux surveillances. Le peuple serbe, mécontent, le déposa et rappela le vieux Miloch, dont le successeur, Michel, fut un prince habile et vraiment patriote. Il fit faire à son peuple un pas décisif vers l’indépendance, en obtenant l’intervention des Puissances, qui obligèrent les Turcs à