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imaginaire, que s’arroge une grande Puissance, de se mêler des affaires d’une petite voisine, de lui imposer son ingérence et sa protection. Ils semblent avoir été créés spécialement à l’usage de l’Allemagne et de l’Autriche-Hongrie, et nous protesterions à l’avance contre tout essai de résurrection des sphères d’influence dans le traité qui mettra fin à la guerre européenne.

Pour en revenir à Milan, s’il fut oublieux des services que lui avait rendus le Tsar, dévoué à l’Autriche, lié avec elle dès 1881 par un pacte secret, il est vrai de dire à sa décharge que certains hommes politiques serbes, sous son règne et sous celui de son fils, et jusqu’à la crise de 1909, ont accepté la honteuse perspective d’une tutelle et d’une hégémonie autrichiennes. Ils alléguaient que, sous la protection du drapeau jaune et noir, l’union de tous les Serbes en une seule famille politique avait chance de s’accomplir, au lieu qu’elle resterait irréalisable, tant qu’ils seraient partagés entre deux monarchies, dont l’antagonisme n’aurait d’autre résultat que d’être une menace constante pour l’existence de la plus faible.

Les diplomates de ma génération se souviendront, comme moi, d’avoir rencontré à Paris, après son abdication, l’ex-roi Milan, bon garçon, intelligent et viveur. La déconsidération générale que lui avait value sa défaite humiliante dans l’attaque entreprise contre la Bulgarie avec l’approbation du cabinet de Vienne, rendait impossible la continuation de son gouvernement austrophile et autocratique, et il ne voulut pas être le prisonnier des radicaux. Il se consolait à Paris de ses déboires, dans les coulisses de l’Opéra et à la table de baccarat. Mais tout occupé qu’il parût de ses plaisirs et des besoins d’argent qui en étaient la conséquence, il continuait d’exercer une direction occulte sur l’esprit de son fils. Il le maintenait de loin dans la ligne politique qu’il avait suivie lui-même : docilité envers l’Autriche, conservation du régime absolutiste à l’aide de coups d’État répétés. Il réussit même à revenir en Serbie, afin d’apprendre plus facilement au jeune Roi à gouverner contre le sentiment populaire. L’influence paternelle persista jusqu’au jour où elle se heurta à une influence féminine. Pour avoir tenté d’empêcher le mariage indigne d’Alexandre avec la femme qui avait su s’emparer de son cœur novice et de sa faible intelligence, Milan se vit brutalement jeté hors de la vie du couple royal. La mort, en frappant soudainement