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bétail serbe hors du territoire austro-hongrois malgré l’existence d’un traité de commerce ? Dieu sait s’il en usait, lorsqu’il voulait intimider le gouvernement de Belgrade et l’amener à composition. Enfin, l’empire dualiste était la seule voie de communication de la Serbie avec l’Europe continentale, qu’une décision du gouvernement impérial pouvait interrompre à son gré. On comprend l’ardent désir des ministres du roi Pierre de se débarrasser de cette sujétion et qu’ils aient constamment nourri l’espérance de s’ouvrir un chemin vers l’Adriatique, pour que leur pays ne fût pas muré dans sa prison économique. Ce chemin, voilà que le geste annexionniste de l’empereur François-Joseph allait le leur fermer à jamais. Il ne restait plus aux Serbes qu’à se frayer une route à travers le massif monténégrin. Projet hérissé de difficultés matérielles et politiques, l’Autriche-Hongrie s’étant réservé au traité de Berlin le contrôle des routes et des chemins de fer traversant cette principauté.

Dès le début de la crise bosniaque, les deux gouvernemens prirent position sur des terrains si opposés qu’il parut tout de suite impossible qu’ils parvinssent à se rencontrer. Le cabinet de Belgrade voulait faire de l’abrogation de l’article 25 du traité de Berlin une affaire européenne et la soumettre à une conférence des Puissances signataires. Le ministre des Affaires étrangères, Milovanovitch, demandait en même temps à l’Europe de garantir l’existence politique et économique de la Serbie, avant de ratifier l’annexion. Le cabinet de Vienne s’indignait de cette insolente prétention. Il écartait toute intervention d’un tiers dans son tête-à-tête avec la Serbie. Que celle-ci reconnût formellement que l’annexion n’avait lésé aucun droit du peuple serbe ; qu’elle se gardât d’élever aucune prétention à des compensations d’aucune espèce. C’était parler en maître et se refuser à toute négociation.

Il était évident que la thèse serbe ne pouvait triompher que si une grande Puissance amie, — en l’occurrence la Russie, — s’en faisait le défenseur devant un tribunal européen. Le baron d’Aehrenthal était un partisan de la manière forte ; dans son passage au Ballplatz, qui fut court, il s’est montré un imitateur maladroit de Bismarck. Cependant il eut l’habileté de paralyser à l’avance toute action diplomatique de la Russie en faveur de son client balkanique. Déjà, en 1876, avant la guerre de Turquie, le cabinet de Saint-Pétersbourg, pour se ménager la