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En opposant son veto formel à l’expansion serbe le long de l’Adriatique, — qui était vue également de mauvais œil à Rome, — la diplomatie autrichienne, sans apercevoir peut-être les conséquences de cet acte de vigueur, fit crouler tout l’échafaudage de la coalition balkanique, à commencer par l’alliance serbo-bulgare. Privée d’un débouché en Albanie, n’ayant plus pour atteindre la mer que le port de Salonique aux mains des Grecs, mais séparé d’elle par une enclave bulgare qui s’étendait jusqu’au lac d’Ochrida, la Serbie était fondée à réclamer de son alliée de Sofia la révision du traité du 13 mars. Le partage des dépouilles de la Turquie allait devenir en effet trop inégal, d’autant plus que la vaillance d’un corps serbe avait aidé l’armée bulgare à prendre d’assaut Andrinople, dont la conquête n’avait pas été prévue au traité d’alliance. Pendant que la Serbie était refoulée hors de l’Albanie et enfermée dans ses montagnes, la Bulgarie, déjà riveraine de la mer Noire, s’était emparée d’une partie du rivage de la mer Egée et se trouvait commodément à cheval sur deux mers.

Le cabinet de Sofia et son président, Guéchoff, un des pères légitimes de l’alliance, dont il avait signé l’acte de naissance, comprirent sans doute qu’il fallait la sauver à tout prix et que la conservation de l’union des Balkaniques, féconde en résultats inespérés, importait plus à son pays que la possession de quelques centaines de kilomètres carrés en Macédoine. C’est l’impression que laisse la lecture du livre publié deux ans plus tard par l’ancien ministre du tsar Ferdinand au sujet de cette alliance [1]. Il avait accepté, sans attendre la signature de la paix avec la Turquie, de recourir à l’arbitrage de la Russie pour la liquidation des conquêtes territoriales, comme le prescrivait l’annexe secrète du traité serbo-bulgare. De son côté, le cabinet de Saint-Pétersbourg faisait, tant à Sofia qu’à Belgrade, des appels répétés à la concorde, afin d’éviter l’odieux d’une collision fratricide. Mais M. Guéchoff et les partisans d’une entente avec la Serbie avaient affaire à l’intransigeance d’une armée, gonflée de l’orgueil de ses victoires et qui s’attribuait tout l’honneur de la déroute de la Turquie. Ils avaient surtout à compter avec leur maître, dont l’ambition effrénée ne reculerait devant rien pour se satisfaire. M. Guéchoff donna sa

  1. Iv.-E. Guéchoff, L’Alliance balkanique, Hachette, 1915.