Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 44.djvu/303

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du statu quo territorial dans les Balkans ? S’effrayait-il des appétits formidables de la meute qui s’était rassemblée sous les auspices de la Russie ? Ou bien croyait-il, comme l’opinion générale en Europe, que le gibier était de force à tenir tête aux assaillans, ce qui lui faisait appréhender l’entrée en scène d’autres mâtins, plus redoutables encore, d’où résulterait une mêlée générale ?

Ces craintes furent écartées, comme l’auraient été les velléités d’intervention des grandes Puissances, par le coup de théâtre qui se produisit en Orient. Le 30 septembre 1912, les Etats des Balkans décrétaient la mobilisation générale de leurs armées. A leur sommation de donner immédiatement une autonomie complète à ses populations chrétiennes d’Europe la Sublime Porte répondit, ainsi qu’ils y comptaient, par une déclaration de guerre. On vit alors un spectacle extraordinaire, à quoi l’on était loin de s’attendre. En quelques batailles, la puissance ottomane, s’étendant sur 25 millions d’habitans, fut brisée par la coalition de quatre petits États, qui ne comprenaient que 10 millions d’âmes. L’armée turque, chassée de la Chalcidique, de la Macédoine, et de presque toute la Thrace, était refoulée sous les murs de Constantinople. Ce que la Russie n’avait pu faire que partiellement au bout d’une lutte opiniâtre, l’union balkanique l’avait totalement accompli en l’espace d’un mois. Les Serbes, pour leur part, avaient vengé les morts de Kossovo. Le 20 octobre 1912, une victoire éclatante était remportée par eux sur ce même Champ des Merles qui avait bu le sang de leurs ancêtres.

L’Autriche-Hongrie assista avec stupeur à cette révélation de la force militaire de la Serbie. Elle avait compté que les armées du Sultan infligeraient au petit Etat une leçon qui le mettrait à sa merci, et voici que les divisions serbes, descendant les pentes des Alpes albanaises, apparaissaient déjà sur le rivage de l’Adriatique. Le cabinet de Vienne ne tarda pas à se ressaisir. Devant son intervention menaçante, appuyée par l’Allemagne et l’Italie, et sur les conseils pressans des Puissances de la Triple Entente, surprises de l’imminence d’un conflit qui risquait de devenir européen, la Serbie dut retirer ses troupes du littoral qu’elles s’occupaient de conquérir. Encore une fois, l’espoir de s’ouvrir l’accès de la mer libre lui était interdit par sa grande voisine.