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V

Comment l’Autriche-Hongrie se serait-elle résignée à laisser sa glorieuse voisine jouir en paix du fruit de ses victoires ? En réalité, l’instigatrice de l’agression bulgare était au nombre des vaincus. Comment supposer que l’homme altier, qui tenait tous les fils de la politique autrichienne derrière la personnalité falote du comte Berchtold, aurait souscrit à cette humiliation ? L’archiduc François-Ferdinand, si peu qu’on sache de ses projets ensevelis avec lui, n’aurait pas souffert que le prestige de la monarchie des Habsbourg restât souillé par une défaite morale, et, pour une revanche à prendre, il pouvait compter sur le chauvinisme fanatique des Magyars, qui d’ailleurs ne l’aimaient guère. Refaire la carte de la Balkanie, en laissant ouvertes les voies de pénétration dont le germanisme comptait largement user, cette opération, — tout le monde le pensait à Vienne, — revenait à l’Empire dualiste aidé de son confrère allemand. Mais pour implanter définitivement l’hégémonie austro-hongroise sur les ruines de l’indépendance balkanique, le premier obstacle à renverser, le premier foyer de résistance à étouffer, était l’impudent royaume serbe.

M. Giolitti. qui ne paraissait pas suspect d’une haine aveugle contre le germanisme, a révélé à la Chambre italienne que, dès le mois d’août 1913, au moment de la signature de la paix de Bucarest, le cabinet de Vienne lui avait proposé une guerre contre la Serbie. C’est pourquoi, après le crime de Serajewo, aucun doute n’était plus possible qu’il ne fût exploité comme un casus belli par le successeur d’Aehrenthal, exécuteur des desseins du prince assassiné. Le prétexte de le venger eût-il manqué, qu’on en aurait cherché un autre dans les revendications des feuilles nationalistes de Belgrade et dans le rêve d’une Grande Serbie, caressé par la plume de quelques publicistes. Au surplus, rien ne restait plus populaire au sein de l’armée impériale et royale qu’une expédition contre le royaume voisin. L’enthousiasme que cette perspective excitait n’était pas dépourvu d’une certaine lâcheté, étant donnée la disproportion des forces des deux adversaires, mais il trouvait un écho joyeux dans l’âme frivole de la population viennoise. Qu’on relise les émouvans récits que les ambassadeurs de France et