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inculquer l’admiration. Les jeunes Français, soumis à un vieil atavisme de fronde et d’insubordination, — si bien qu’on les a comparés aux chevaux de Marly, « toujours tenus en bride et toujours cabrés, » — sont-ils donc à ce point férus de contradiction et épris de contrastes, si mobiles dans leurs goûts et si indociles par tempérament qu’ils prennent instinctivement le contre-pied de tout ce qu’ils soupçonnent qu’on leur a enseigné par force et qu’ils n’acceptent comme assimilables que les connaissances acquises de leur plein gré ? On trouverait là l’explication de certains à-coups de notre histoire : la génération née sans baptême, au temps de la Raison et de l’Être suprême, suivra dévotement les processions de 1816, se bousculera aux sermons de l’abbé Legris-Duval, et élèvera sur tout le territoire des « croix démissions ; » — celle qu’astreint à la piété le gouvernement de la Restauration fournira les insurgés de 1830 qui pilleront Saint-Germain l’Auxerrois et l’archevêché de Paris ; — toute liberté d’enseignement est laissée, durant les vingt ans du second Empire, aux congrégations religieuses, et voici ceux qu’elles ont instruits, parvenus au pouvoir, expulsant de leurs chaires leurs anciens maîtres et préconisant « l’école sans Dieu, » — d’où sort à son tour une nouvelle levée de jeunes gens qu’on assure être enclins au césarisme et dont on peut constater la sympathique tolérance et le goût inespéré pour les pieuses traditions de nos pères. De tels reviremens justifient le jugement de Tocqueville écrivant que notre nation, « jamais si libre qu’il faille désespérer de l’asservir, ni si asservie qu’elle ne puisse encore briser le joug…. finit par devenir un .spectacle inattendu à elle-même et demeure souvent aussi surprise que les étrangers à la vue de ce qu’elle vient de faire[1]. »

Sans quitter l’anecdote et en revenant bien vile aux éducateurs de l’ancien temps, on rencontrerait des exemples assez frappans de cette inconstance mutine. Comme il convient de se borner, on ne donnera place ici qu’à cette constatation, recueillie par Cheverny, pensionnaire au collège Louis-le-Grand : en cet établissement fameux, les élèves pratiquaient avec passion tous les jeux de hasard ; pas une récréation qui ne se passât au piquet, au tric-trac, au quadrille ou au quinze : cette fureur, peut-être fomentée discrètement par des maîtres bien

  1. Alexis de Tocqueville, L’Ancien Régime et la Révolution. Livre III, chap. VIII.