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avisés, était « entrée dans l’éducation. » Or, ce même Cheverny a remarqué au cours de sa vie que, de tous ceux de ses camarades qui avaient, en leur temps d’écolier, avec un fol emportement, tenté de pénétrer les caprices de la dame de pique ou les mystères du cornet, aucun ne fut atteint plus tard de la passion du jeu : seuls, M. de Genlis et M. de Sillery, qui s’étaient toujours refusés à toucher une carte ou à jeter un dé, devinrent les plus gros joueurs de Paris et laissèrent leur fortune sur le tapis des tripots[1].


La vie de collège de ce temps-là était, en effet, rendue aussi agréable et aussi douce que possible par des régens dont la principale préoccupation était de ne violenter en rien et de ne pas surmener les jeunes intelligences dont ils assumaient la direction, imbus de ce principe, formulé par Joubert, qu’« il faut laisser à chacun, en se contentant de les perfectionner, sa mesure d’esprit, son caractère et son tempérament. » Il est, d’ailleurs, assez difficile de pénétrer rétrospectivement dans l’intimité d’un grand établissement d’éducation d’autrefois : les renseignemens à ce sujet paraissent être assez rares, et, par surcroît, on a tant et si obstinément déformé, en ceci comme sur bien d’autres points, la réalité, que, lorsque nous l’apercevons dans les récits des contemporains, nous la trouvons tellement différente de ce dont on nous endoctrine, que nous avons peine à l’accepter. Ce qui surprendrait le plus, sinon les orateurs de réunions électorales qui, je l’espère pour eux, le savent, quoiqu’ils le taisent avec opiniâtreté, du moins leurs auditeurs convaincus que l’ancien régime, méfiant et tyrannique, obligeait les Français d’avant l’aube révolutionnaire à pourrir dans la plus sordide ignorance, c’est que non seulement l’enseignement primaire était, depuis Louis XIV, obligatoire, mais que, dès l’époque de la Régence, l’enseignement secondaire, si coûteux aujourd’hui et réservé seulement aux enfans des favorisés de la fortune, était donné gratuitement par l’Université[2]. De là une première dissemblance par quoi

  1. Dufort de Cheverny, Mémoires cités.
  2. Lettres patentes pour l’instruction gratuite en l’Université de Paris, 4 avril 1719. — « … Ordonnons qu’à compter du 1er avril présente année, l’instruction de la jeunesse sera faite gratuitement dans les collèges de plein exercice de notre fille aînée ladite Université de Paris, sans que, sous quelque prétexte que ce soit, les régens desdits collèges puissent exiger aucuns honoraires de leurs écoliers… » (Jourdan, Decrusy et Isambert, Recueil général des anciennes lois françaises, tome XXI, p. 173.) Les collèges « de plein exercice, » c’est-à-dire disposant de professeurs attitrés et n’étant point dans l’obligation d’envoyer leurs pensionnaires suivre les cours d’autres établissemens, étaient à cette époque ceux d’Harcourt, du Cardinal-Lemoine, de Navarre, de Montaigu, du Plessis, de Lisieux, de La Marche, des Grassins et de Beauvais.