Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 44.djvu/327

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

collèges de l’Université « d’institutions bizarres qui fatiguaient et dépravaient la jeunesse…, où rien n’était destiné à développer l’homme, ou même à le commencer. » D’ailleurs, la règle s’est établie chez nous, depuis cette époque, de flétrir audacieusement, et de parti pris, tout ce qu’avaient institué nos pères. On s’est fort égayé, jadis, aux dépens de ce bon abbé Loriquet, dont la fameuse phrase sur « le général Bonaparte, lieutenant de S. M. Louis XVIII, » est encore à découvrir, bien qu’elle soit pour le plus grand nombre un article de foi. Aujourd’hui, dans le camp opposé, « Loriquet s’appelle légion[1]. » Qu’on entretienne soigneusement l’électeur dans la persuasion que ses ancêtres étaient des esclaves, condamnés par la dureté des tyrans à ne jamais connaître « les bienfaits de l’instruction, » dont il s’imagine être lui-même un produit achevé, cela s’explique par la nécessité de flatter cet élément conscient et de lui inspirer, par contraste, l’admiration des institutions actuelles. Ce qui surprend davantage, c’est de rencontrer, en des ouvrages sérieux et manifestement dus à des hommes grandement instruits, des « clichés » qu’on croirait empruntés aux plus vulgaires harangues électorales. Est-il, par exemple, équitable d’affirmer qu’en exigeant, par les ordonnances de 1693, 1698 et 1724, l’obligation de l’instruction primaire, Louis XIV et Louis XV eurent simplement pour but de compléter l’action des dragonnades ; et que les seules fois où le pouvoir royal soit intervenu en cette matière, c’était pour faire œuvre, non de progrès, mais de tyrannie, pour tourner l’école en instrument d’oppression des consciences ? Les doktors de l’Allemagne moderne ont eu bien aisé de dépriser notre France et de présenter son histoire comme étant une succession ininterrompue d’opprobres, de servitude et d’abjection : ils n’ont eu qu’à recueillir toutes les invectives au passé que l’on placarde sur nos murs à l’approche des élections. Jules Ferry, il y a quelque trente-cinq ans, s’indignait déjà, de ce dénigrement systématique : « Ne croyons pas, conseillait-il, qu’il soit bon de dire : par delà telle date éclatante et rénovatrice, il n’y a rien dans notre histoire, rien que des tristesses, rien que des misères, rien que des hontes. Cela n’est pas vrai, d’abord ; et ensuite, cela n’est pas sain pour la jeunesse[2]. » Nous irons tout à l’heure flâner autour des écoles primaires

  1. X. Aubriet, Les représailles du sens commun, p. 50.
  2. Discours au Sénat. Séance du 10 juin 1882.