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ardeur à s’évertuer ; et quand les survivantes rentrèrent au pays, leurs châteaux détruits ou vendus, leurs biens morcelés, elles s’activèrent si laborieusement aux reconstitutions que, vingt ans après le grand déluge, aussi allègrement subi qu’une simple averse, la France était prospère et opulente au point que ses ennemis en pleuraient de rage. On ne leur avait pas commenté Kant ni Fichte ; elles n’étaient pas nietzschéennes, nos fortes aïeules ; pourtant nous ne pouvons souhaiter rien de plus, au cours des années d’angoisse que nous vivons et pour les temps difficiles qui vont suivre, que de retrouver dans les Françaises d’aujourd’hui les égales de celles qui surent jadis accomplir ces miracles de courage et de persévérance, sans perdre un instant la préoccupation de plaire, voire de rire et de se parer.


Mais les femmes sont les femmes, et seul, à ce qu’enseignent les sages, celui qui n’en connaît aucune peut garder la prétention de disserter d’elles. Il nous demeure plus surprenant que de faibles hommes fussent, par des pédagogues expérimentés, embarqués pour la vie tumultueuse, sans autre bagage intellectuel que beaucoup de grec et beaucoup de latin, deux langues qui ne sont plus parlées par personne. On a vu que nos pères considéraient l’étude des lettres anciennes comme une panacée et un talisman ; le but des maîtres n’était point alors de bourrer les jeunes cerveaux d’une masse de connaissances également imposées à tous, mais de mettre chacun d’eux en mesure d’apprécier celles qui lui semblaient le mieux assimilables et de le laisser « se cultiver seul, au hasard des impulsions de sa curiosité. » Nos méthodes actuelles sont justifiées peut-être par les nouvelles conditions de la vie ; celle-là était, à coup sûr, excellente en un temps où l’on cherchait à développer plutôt qu’à briser l’initiative personnelle. On citerait maint exemple fameux de ce laisser-aller raisonné et des surprises qui en résultèrent ; car l’Esprit ne supporte pas de direction : « il souffle où il veut. » Un garçon parfumeur découvre, dans de vieux papiers d’emballage, un volume dépareillé de Molière, qui lui révèle « les beautés de la langue française et lui inspire un vif désir de s’instruire. » Cet élève du hasard, pour avoir lu le Malade imaginaire et Pourceaugnac, deviendra un docteur