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son embarras et sa confusion en présence de ses anciens, chez qui, à dix-sept ans, il est admis à fréquenter. Plus de trente salons lui font accueil ; les nombreuses réunions sont rares : il n’y a ni bals, ni concerts, ni cohues, mais causeries agréables et solides entre personnes accoutumées à se retrouver ; des parlementaires qu’il y rencontre, il admire « la gravité, l’élégance de vie, une inclination très vive vers les jouissances de l’esprit et des connaissances fort étendues ; » il y a là M. Bochart de Saron qui consacre ses loisirs à l’astronomie ; M. Dionis du Séjour qui suit d’Alembert de très près dans les hautes régions de la géométrie ; la poésie aussi a ses adeptes : M. Ferrand compose des tragédies et M. de Favières rime des livrets d’opéras-comiques ; on ne parle jamais politique, mais littérature, philosophie, pièces de théâtre, ouvrages nouveaux ; la connaissance des lettres anciennes dont tous, jeunes et vieux, sont nourris, est la base commune, la « matière première » de ces discussions, le terrain d’entente de ces esprits si divers. D’ailleurs, ces anciens n’ont, eux non plus, en leur temps de collège, rien appris d’autre : c’est, non point sur les bancs de l’école, par force et à coups de pensums, mais à leur entrée dans l’existence, déjà en âge d’en apprécier l’importance, qu’ils ont pris, de leurs prédécesseurs, ce goût des nobles choses et des travaux sérieux. On eût été mal venu alors de bafouer les aïeux et de triompher de leur ignorance, puisque c’était d’eux-mêmes qu’on recevait par transmission le germe de tout ce qui faisait l’agrément et l’ornement intellectuels de la vie.

À peine reçu dans ce monde délicat et lettré, Pasquier sentit son insuffisance. Soucieux de n’y être point trop inférieur, il s’appliqua aux lectures suivies et attentives ; n’étant plus un enfant et s’y adonnant de son plein gré, il y trouva grand plaisir : tel auteur grave, qui l’eût rebuté quelques mois auparavant si ses professeurs lui en avaient imposé le devoir, lui sembla plein d’attraits puisqu’il s’en révélait les beautés à lui-même, et c’est ainsi que ces esprits d’autrefois étaient volontairement conquis, et pour toujours, au culte des grands penseurs et des parfaits modèles. Le cas de Pasquier fut celui de bien d’autres : toute la jeunesse d’alors, à peine libérée de la tutelle des pédagogues, éprouvait le besoin de s’instruire : « on se ferait difficilement une idée de ce mouvement intellectuel, » écrivait, au temps de Louis-Philippe, le chancelier de France se