Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 44.djvu/339

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

remémorant ses années d’avant la tourmente révolutionnaire ; « on suivait les cours du lycée, dont les professeurs étaient La Harpe, Fourcroy, Garat, de Parcieux ; l’élite de la société parisienne s’y pressait, » et là, du moins, chacun s’ingéniait à s’instruire suivant ses facultés naturelles et à ne suivre que les leçons vers lesquelles l’attiraient ses dispositions et ses préférences.


Ce prurit de savoir était-il le premier indice du mal sournois dont la France était atteinte et que Rivarol a nommé « la maladie du bonheur ? » Déjà il avait pour résultats des singularités qui déconcertaient : on vit, par exemple, des Français se prendre d’engouement pour le roi de Prusse ; on cherchait à connaître, pour l’imiter, ce qui se faisait ou se disait à Londres. Il sourdait de divers côtés des velléités d’innovations brusques, tapageuses : quelques-uns se faisaient une réputation à heurter les vieux préjugés et à braver l’opinion, et c’est alors qu’on commença à parler de certaines excentricités pédagogiques, traitées d’extravagances par les gens pondérés, mais qui plaisaient à d’autres par leur nouveauté même et leur parfum exotique. Ainsi on court à Ermenonville pour contempler la famille du châtelain, M. de Girardin, vêtue à l’anglaise : le père, les enfans, les domestiques, sont habillés de toile bleue d’Oxford, vestes, culottes et guêtres uniformes. Mme de Girardin et ses femmes portent un costume de même étoffe, avec un large tablier et un chapeau noir. Dans la cour du château est un grand mât de trente pieds, au haut duquel les petits Girardin, s’ils veulent manger, doivent aller décrocher leur repas. Ils viennent à pied d’Ermenonville à Paris, dix bonnes lieues[1], et la première fois qu’ils apparaissent aux Tuileries, dans leurs vestes de toile, les cheveux tondus et les jambes gainées d’un pantalon, — un pantalon ! — parmi leurs camarades de même âge, poudrés, sanglés, manchettes aux poings, bas de soie aux mollets et chapeaux à trois cornes en tête, c’est une stupeur dont les contemporains gardaient encore le frisson cinquante ans plus tard. La huée fut d’abord générale, puis on s’accoutuma à ce « débraillé, » on l’envia, on ne voulut plus d’autre costume[2].

  1. Revue d’histoire littéraire de la France, 1896, p. 108.
  2. Souvenirs de Frenilly, 20.