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à Saint-Pétersbourg les résolutions définitives prises à Paris ; il s’efforce de rallier les grandes cours à sa manière de voir. Par son ordre, Nesselrode les invite « à ne pas considérer la question comme de convenance particulière, mais comme une question européenne d’où dépendent le salut de la France et celui des gouvernemens et des peuples en général. » Sous toutes les formes et avec une inlassable activité, Nicolas s’attache à faire savoir par toute l’Europe qu’il condamne formellement les événemens de France, parce qu’ils sont une atteinte au principe de la légitimité dont il s’est constitué le gardien et le défenseur.

Les témoignages de son mauvais vouloir et de son irritation deviennent tels que le chargé d’affaires de France s’en inquiète et se demande si la crise n’aboutira pas à la rupture des relations diplomatiques. Que ne peut-on craindre de la part d’un autocrate volontaire et irascible ? Bourgoing n’est pas homme à rester dans ce doute et, le 24 août, alors qu’on est averti, à Saint-Pétersbourg, que Louis-Philippe est élu roi des Français, il fait demander à l’Empereur de le recevoir. Il veut essayer de découvrir ses intentions et, si elles sont ce qu’il pressent, de le ramener à d’autres sentimens. S’il n’y réussit pas, il saura du moins ce que son gouvernement doit redouter de la colère de l’autocrate de toutes les Russies.

Les historiens sont toujours heureux de rencontrer sur leur route un personnage supérieur à la situation qu’il occupe, et c’est bien ainsi qu’en cette circonstance va se révéler le baron de Bourgoing aux yeux de nos lecteurs, s’ils veulent se rappeler qu’il n’était pas ambassadeur mais seulement chargé d’affaires, et ni par la fonction, ni par l’éclat des services ne possédait l’autorité d’un La Ferronnays ou d’un Mortemart. Il n’en trouvera pas moins ce qui lui manque pour égaler ses anciens dans l’idée qu’il se fait de la grandeur du pays qu’il représente ; on peut parler haut et ferme quand on parle au nom de la France. On va le voir résolu, maître de soi, tenir tête à l’orage et, dans sa conversation avec l’Empereur, qui revêt parfois la physionomie d’un duel, réfuter les argumens qu’on lui oppose avec une force que l’intransigeance impériale ne parvient pas à ébranler.

Nicolas Ier résidait alors dans son château de Yélaguine, aux environs de la capitale ; il y passait l’été avec l’impératrice,