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Elles avaient toujours blâmé les réformes libérales accordées par Alexandre à la Pologne. L’Autriche, après avoir tenté vainement de les paralyser, avait maintes fois prédit qu’elles auraient des conséquences funestes. Maintenant que ses prédictions se réalisaient, son ambassadeur en Russie, le comte de Ficquelmont, les rappelait et triomphait.

« Il m’a dit à moi-même, écrivait Bourgoing, mais en y mettant toutefois cet esprit de douceur et d’humanité qui forme le fond de son caractère personnel au milieu des opinions plus exagérées du cabinet qu’il représente, qu’avec des idées de philanthropie générale, on pouvait avoir telle ou telle manière de voir sur le partage de la Pologne ; mais que, pour les trois Puissances partageantes, c’était un fait accompli, sur lequel elles n’avaient plus à revenir et qui rentrait dans tous les cas de conquêtes dont l’histoire des nations présente de si nombreux exemples ; que, partant de cette base, on devait trouver que l’empereur Alexandre avait agi avec une grande imprudence en donnant à une nation asservie une ombre d’existence politique, qui ne faisait qu’entretenir sa nationalité et ses espérances, d’y avoir joint une armée séparée, et enfin une Constitution. »

Dans cette opinion du cabinet de Vienne conforme à celle du cabinet de Berlin, Nicolas, s’il eût eu besoin d’être encouragé à réprimer sans pitié l’insurrection polonaise, aurait puisé toute l’énergie nécessaire. Mais un tel excitant lui était inutile. Celui qu’il trouvait dans le sentiment de sa cour lui suffisait. Lorsque, n’ayant pas encore mesuré la gravité de l’insurrection, il faisait dire aux Polonais que, s’ils se soumettaient sans délai, il pardonnerait, les courtisans murmuraient : « Il faut en finir une bonne fois pour toutes avec ces gens-là, » et l’un d’eux aggravait la menace en disant : « La guerre qui commence sera dure. Mais une seule chose m’épouvante, c’est la clémence de l’Empereur. »

Sa disposition à la clémence avait été de courte durée. Elle résultait de la lenteur qu’avaient mise à lui parvenir les nouvelles de l’insurrection et la certitude bientôt acquise que le grand-duc Constantin en était la cause première :

« Par son manque de véritable énergie et de courage personnel, il a tout perdu, après avoir tout compromis, mandait encore Bourgoing à son ministre, le général Sébastiani. Les