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— Il n’y a pas de confiance à avoir dans le caractère de l’Empereur ! reprit alors l’envoyé.

— Vous avez tort, lui dis-je ; moi, je crois que c’est là votre seule ressource, et je vous offre tous mes bons offices, de la part du Roi, et mon peu de crédit près de ce souverain, pour tirer le meilleur parti de votre affreuse position.

— Nous combattrons, nous nous ensevelirons sous nos ruines ; nous avons 120 000 hommes.

Mais Mortemart tenait pour certain que l’armée polonaise n’en comptait que 30 000 en état de combattre ; le reste n’était que des levées sans instruction militaire et sans armes. L’envoyé comprenant que son interlocuteur en savait autant que lui n’insista plus ; il se contenta de lui recommander les intérêts de son pays et le pria de ne pas le compromettre. Ce fut le dernier mot de cet entretien. Si pénible qu’il eût été pour l’envoyé polonais, il avait eu du moins l’avantage de préciser ce que le gouvernement provisoire de Varsovie pouvait attendre de la France.

Rendu à Saint-Pétersbourg, Mortemart se hâtait d’exécuter les instructions qu’il avait emportées de Paris et celles qu’il en recevait. Il s’efforçait de savoir quel sort l’Empereur réservait à la Pologne ; d’accord avec son collègue d’Angleterre, il rappelait à Nesselrode que les puissances, à Vienne en 1815, s’étaient portées garantes des institutions accordées aux Polonais par l’empereur Alexandre, et que cette décision devait être respectée. On lui promettait qu’elle le serait. Mais il soupçonnait que l’on promettait avec l’arrière-pensée de ne pas tenir, et que l’Empereur, redoutant de paraître faible, repousserait toutes les tentatives d’arrangement, si les Polonais ne faisaient pas le premier pas. Fuyant le monde, recherchant la solitude, gémissant sur le sang versé, mais irrité par la résistance des insurgés, il semblait avoir oublié l’engagement pris par lui de maintenir les institutions qui naguère avaient assuré à la Pologne une indépendance relative. Les conseils de modération qui lui venaient de France le mettaient hors de lui. Ils étaient cependant ceux d’un ami et emplis de sagesse. Le gouvernement français écrivait à son ambassadeur :

« Nous souhaitons que l’empereur Nicolas, fidèle aux inspirations de son noble caractère, use de clémence envers les vaincus. L’Europe entière a les yeux fixés sur lui ; elle en attend un