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Paris chez la princesse de Beauvau, sœur de Mortemart ; celui-ci l’écoute avec un bienveillant intérêt.

Par l’intermédiaire de cet envoyé, les Polonais demandent des secours à la France, à quelque prix que ce soit : s’ils ne peuvent être en hommes, au moins en argent, en officiers et en armes surtout. Si la France ne les secourt pas, ils seront, à la fin, refoulés jusqu’au Rhin où elle regrettera d’avoir laissé détruire cette précieuse avant-garde. Il n’y a plus de paix, ni de traité possibles entre eux et les Russes. La Diète a nommé Michel Radzivill chef de l’armée et proposé la déchéance de l’empereur Nicolas, comme roi de Pologne, qui doit être votée maintenant.

À cet exposé d’une situation désespérée dont Mortemart dans sa lettre ne donne qu’un résumé, il répond que la France, fidèle au principe de non-intervention qu’elle exige pour elle, le suivrait envers toutes les puissances et que son affection pour les Polonais leur garantit tous ses bons offices ; tous les efforts de l’amitié seront tentés pour les tirer du précipice où de mauvais conseillers les ont précipités.

« L’envoyé est convenu des mauvais conseils, mais comme il voulait espérer dans un changement de système chez nous, je lui fis voir qu’un autre ministère ou même un autre gouvernement, quand même il le voudrait, ne pourrait rien en leur faveur. Il le reconnut avec des démonstrations de violent désespoir qui me fendaient le cœur.

— Eh bien ! me dit-il, peut-être le temps sera notre sauveur ; nous lutterons pendant une campagne ; que la France nous donne seulement un des guerriers expérimentés de Napoléon. Nous n’en avons pas un seul.

— La France a des devoirs qui ne lient pas absolument tous ses enfans, repris-je, mais ne comptez pas sur ceux qui viendraient pour vous sauver.

— Voulez-vous nous servir ? me dit-il avec feu. Élève de Napoléon, tous vos anciens frères d’armes polonais comptent sur vous.

— Ils ont raison ; après avoir rempli mon devoir envers ma patrie, je sacrifierais volontiers le reste de mon sang pour les sauver ; mais je suis trop leur ami pour les seconder dans une lutte impossible, commencée sous de fâcheux auspices et qui ne leur laisse que la chance de traiter honorablement.