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III

Sur les raisons qui, au lendemain de la chute de Charles X et dès les débuts de l’insurrection polonaise, avaient si visiblement assombri le caractère de l’Empereur, venait, au mois de juin 1831, s’en greffer une autre, propre à lui faire croire que la protection céleste se détournait de lui et qu’après lui avoir prodigué ses bienfaits, le ciel ne lui réservait plus que des rigueurs. Venu des contrées asiatiques, répandant la mort sur son passage, le choléra avait franchi les cordons sanitaires et faisait son apparition à Saint-Pétersbourg ; il trouvait la capitale toute désorganisée et impuissante à le combattre. En peu de jours, le nombre des décès s’élevait quotidiennement à plusieurs centaines, au grand effroi de la population. Fataliste à l’excès, ignorante et crédule, répugnant aux précautions qu’on s’efforçait de lui prescrire, elle ajoutait foi aux rumeurs qui circulaient dans la capitale et présentaient l’épidémie comme un prétexte utilisé par le gouvernement impérial pour se débarrasser des individus suspects et des condamnés qui encombraient les prisons.

A la fin de juin, des bandes commençaient à parcourir la ville, la menace aux lèvres et dans les yeux, affirmant que les prétendus malades n’étaient que des prisonniers, des prisonniers aussi les prétendus morts. « Il en est, disait-on, qu’on enterre vivans ; on en a vu se relever dans leur cercueil. » Ces propos ameutaient une foule de plus en plus irritée. Le 3 juillet, à l’approche de la nuit, elle forçait les portes des hôpitaux, envahissait les salles, brisait les vitres, assommait les médecins et les gendarmes, arrachait les malades de leur lit en leur déclarant qu’ils se portaient bien et sans même s’apercevoir qu’elle en tuait plusieurs par ces violences. Tandis que ces scènes se déroulaient dans les salles, la populace restée au dehors mettait en pièces les voitures d’ambulance et, pour les inutiliser, éventrait les chevaux. Pour couper court à ces désordres, il fallut braquer les canons sur les émeutiers. Ils se dispersèrent dans la nuit. Mais, le lendemain matin, les bandes se reformaient et recommençaient à circuler en réclamant l’Empereur.

A l’apparition du fléau, Nicolas, qu’on voudrait voir plus vaillant devant le péril, s’était hâté de quitter la capitale avec sa