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formula de nouveau sa requête. Nesselrode se déroba.

— Laissez faire l’Empereur, vous serez content de sa modération.

Sa réponse ne fut que le développement de ce thème ; il était évident qu’il ne voulait pas engager l’avenir. A l’issue de cet entretien, Mortemart écrivait à sa cour : « Je ne crois plus aux paroles de l’Empereur. Si vous le laissez faire, la Pologne est anéantie, car la haine est à son comble dans le cœur du souverain et le désir de la vengeance extrême dans la nation. »

A quelques jours de là, alors que le représentant de la France se préparait à partir pour Paris, une seconde conversation avec Nesselrode lui prouvait qu’il ne s’était pas trompé dans son jugement. Le chancelier lui laissait entendre que l’Empereur « était inabordable sur la question polonaise. »

— Nous ne voulons ni bons offices, ni intervention, déclara-t-il ; cela ne regarde que nous.

— Songez bien à votre réponse, s’écria Mortemart. Mon intention est de la porter moi-même à Paris.

— Mais vous ne partez pas dans l’intention de nous brouiller ? demanda Nesselrode tout ému.

— J’ai fait trop de sacrifices dans un esprit contraire pour que vous puissiez me supposer un tel but. Je ferai tout jusqu’à la fin pour prévenir une rupture. Mais je veux savoir si nous pouvons compter sur la clémence de l’Empereur et sur l’observation du traité de Vienne.

— Mais assurément, promit le chancelier.

Promesse fallacieuse qui ne convainquit pas Mortemart et pas davantage le baron de Bourgoing qu’en partant pour Paris, le 31 août, il laissait derrière lui comme chargé d’affaires.

« Nous n’avons à attendre de l’Empereur que les dispositions les plus défavorables, écrivait celui-ci, et les jugemens les plus partialement erronés. Il ne connaît ni ne comprend la France ; les idées les plus opposées au véritable état des choses sont les seules qu’il admette. Heureusement que l’éloignement des deux pays rend ces dispositions inactives et que, par conséquent, nous avons peu de souci à en prendre. »

La suite des événemens met en lumière la perspicacité des deux diplomates français. Le 17 septembre, le canon de la forteresse de Saint-Pétersbourg annonce aux habitans de la capitale