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l’entrée des Russes à Varsovie et la défaite définitive des insurgés polonais. Que devient alors l’engagement pris par Nicolas d’observer le traité de Vienne et de maintenir les institutions créées en Pologne par son frère Alexandre ? Que devient sa promesse d’user de clémence envers les coupables et de modération dans le châtiment ? Il décrétera une amnistie, mais tant de cas individuels en sont exceptés que c’est comme si elle n’existait pas. Irrité contre Bourgoing qui a refusé d’assister au Te Deum chanté pour célébrer la prise de Varsovie, contre le gouvernement français qu’il soupçonne d’avoir facilité à l’industrie privée des envois d’armes aux insurgés et plus encore contre ceux-ci qui ont osé lui résister pendant près d’une année, il oublie toutes ses promesses et, convaincu que la France ni la Grande-Bretagne ne lui feront la guerre, que la Prusse et l’Autriche lui resteront fidèles, il assouvit sa colère par des châtimens impitoyables : confiscations de biens, déportations on Sibérie, emprisonnemens, et par la destruction totale de ce qui constituait l’autonomie polonaise. La Pologne ne sera plus désormais qu’une province russe gouvernée avec la dernière rigueur et à qui tout a été enlevé, tout jusqu’aux souvenirs matériels de sa glorieuse histoire. En 1836, le baron de Barante, alors ambassadeur de France en Russie, constatait le dépouillement.

« Les drapeaux pris sur les Polonais sont suspendus aux piliers de Notre-Dame de Kasan ; à Pétersbourg, les clés de Modln sont posées sur le tombeau du grand-duc Constantin, le Kremlin est plein des trophées de cette guerre : la suite des portraits des rois de Pologne, une série de bustes en bronze des Polonais illustres, les insignes du couronnement, le trône de Pologne, rien n’a été laissé à Varsovie [1]. »

Du reste, bien des années après la campagne de 1831, l’Empereur en parlait comme d’un des plus beaux triomphes de son armée et comme delà gloire de son règne. Mais presque toujours, il s’emportait en en parlant contre ce qu’il appelait l’ingratitude des Polonais, et, s’il en voulait tant à la France, c’est qu’à ses yeux, elle avait été leur complice.

Ainsi s’expliquent la durée et la vivacité de son ressentiment qu’à plusieurs reprises, on vit s’exercer contre Louis-Philippe

  1. Souvenirs du baron de Barante, tome V, Paris, Calmann-Lévy frères, éditeurs.