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LA
« CROISADE » AMÉRICAINE


I

Le « Saint-Graal » a quitté la Germanie féodale pour l’Amérique démocratique, dans les bagages de ses « chevaliers, » champions professionnels du faible et de l’opprimé, qui se sont fait naturaliser citoyens des Etats-Unis.

De ce Lohengrin, où l’Allemagne et son empereur aimaient à se mirer et que Wagner avait mis au théâtre, la présente guerre a singulièrement retourné la légende. C’est toujours en Belgique, comme à l’Opéra, que la scène se passe. Mais, dans l’œuvre wagnérienne, l’héritière de Flandre et son frère le duc de Brabant, que de méchans seigneurs prétendent dépouiller injustement, sont remis en possession de leurs Etats par un redresseur de torts, le « chevalier au cygne, » que sa barque mystérieuse amène sur un fleuve germanique et que le « roi d’Allemagne » encourage et soutient. La réalité présente est tout autre ; elle n’est pas moins poétique ; à son tour, elle deviendra légende, légende bien plus belle que l’ancienne et tellement invraisemblable que les générations futures auront peine à y croire.

C’est d’outre-mer aujourd’hui que le chef légitime du sol flamand et brabançon, anxieux au bord du rivage sur la mince bande de terre qui lui reste, attend le renfort qu’apporte à ses défenseurs anglais et français un Lohengrin transatlantique. Le cygne de ce moderne chevalier est un croiseur escortant des