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de leur donner tort, et nul, à l’avance, n’avait auguré les réalités bonnes ou mauvaises d’aujourd’hui. Mais, de toutes les surprises qui nous étaient réservées, en est-il une comparable à la résurrection de l’esprit chevaleresque, à l’organisation, sur le sol du Nouveau Monde, d’une neuvième « croisade ? » Car de quel autre nom pourrions-nous appeler la levée d’armes que font nos amis américains en faveur, non plus comme au moyen âge du tombeau du Christ, mais du berceau du droit, de ce droit civique des petits peuples qui voient, au moment où des voisins tyranniques leur signifiaient qu’ils avaient assez vécu, venir à leur aide le plus grand de tous les peuples civilisés par le territoire, la richesse et la population ? Bayard, qui redevient d’actualité depuis que nous incrustons l’image du « chevalier sans peur et sans reproche » dans le papier de nos plus récens billets de vingt francs, pourrait donner l’accolade aux soldats-citoyens du Nouveau Monde ; les États-Unis font de leurs « chevaliers du Travail » des chevaliers de la Liberté, de cette liberté à laquelle ils ont aussi dédié leur dernier emprunt, le « Liberty-loan. »

Ce ne sont point en effet des chevaliers « professionnels, » c’est-à-dire des paladins friands de prouesses, gens de guerre par état et par humeur, avides d’illustrer leurs noms par des coups d’éclat comme les héros romanesques de la littérature médiévale ; c’est, au contraire, dans toute l’humanité, le peuple le plus pratique, celui qui passe pour le plus « utilitaire, » le plus adonné à la recherche exclusive du bien-être et du progrès matériel. Et, précisément, dans cette sainte croisade des États-Unis contre la Guerre et la Force, rien n’est plus frappant que l’opposition entre le caractère pacifique, réaliste et calculateur de la République américaine et le sacrifice auquel cent millions d’hommes, consciens et maîtres de leurs destinées, se sont froidement résolus en vue de l’idéal le plus noble et le plus désintéressé.

La doctrine, dite de Monroë, repoussant l’ingérence politique de l’Europe et, par réciprocité, l’immixtion du Nouveau Monde dans les affaires du Vieux Continent, semblait écarter à jamais l’Amérique de nos conflits ; le luxe de l’antimilitarisme, que permettait leur position géographique et qu’entretenait leur tempérament ; l’horreur du service obligatoire, égale chez les citoyens nés sur le sol de l’Union et chez les immigrans, réfractaires