Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 44.djvu/402

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et d’influence, plus il considérait qu’il fallait parler haut en l’honneur de l’Église et de la société. C’est ce qu’il fit. J’ai trouvé à ce sujet dans les papiers de M. Thiers une correspondance des plus intéressantes que je veux mettre au jour, car elle donne un relief tout particulier aux incidens si curieux de la candidature Littré, incidens qui passionnèrent deux fois Paris et le monde savant.


Après un entretien avec M. Thiers et dans lequel celui-ci, tout en persistant à voter pour Littré, reconnaissait hautement qu’on ne pouvait être athée et saluait l’existence d’un Dieu bon qu’il aurait voulu servir selon toute la vérité, Mgr Dupanloup vit Ampère. L’illustre physicien se montra très embarrassé. Il se débattait entre l’affection qu’il portait à l’évêque et son respect absolu pour la liberté de conscience. Il ne voulut pas, en fin de compte, prendre un engagement définitif et attendit le jour du vote pour se décider. D’autres académiciens firent de même. L’influence de M. Thiers, qui avait patronné la candidature Littré, était si grande à l’Académie que Mgr Dupanloup résolut de lui livrer un nouvel assaut. Il lui écrivit donc la lettre suivante, datée du 9 avril 1863 :


« Monsieur,

« Je suis sorti hier de chez vous, pénétré de vos bontés pour moi, et, si vous me permettez de l’ajouter, pénétré d’une impression plus haute et plus profonde encore que le sentiment de vos bontés.

« Maintenant, j’ai besoin de vous le redire : plus j’y pense, plus je trouve impossible ce qui se prépare pour M. Littré. Il y aurait là, évidemment, une des peines les plus vives faites aux membres de l’Académie, à qui cette élection n’inspire pas une répugnance ordinaire. Je n’hésite pas à ajouter que ce serait une surprise et une violence faites à l’opinion publique elle-même.

« On dit : Il faut bien cependant se tolérer les uns les autres, et, comme vous me le disiez admirablement hier, en se tolérant, s’aider les uns les autres.

« Certes, je crois pouvoir dire que je ne suis pas suspect