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médicales de M. Littré, que nul de ses membres probablement n’a lu, et qui est malheureusement entre les mains de tous les jeunes étudians en médecine de France. Il m’est impossible d’admettre que l’Académie puisse dire à toute cette jeunesse : « Nous avons élevé aux plus grands honneurs de l’esprit français celui qui vous enseigne le matérialisme, le fatalisme, l’athéisme. »

« Je le répète : faire cela n’est pas possible. Sans savoir ce qu’on fait, c’est possible ; le sachant, ce n’est pas possible. Le sachant, il y aurait à peine trois voix à l’Académie ; et encore…, si ce n’est la religion et le respect de Dieu, le ridicule les arrêterait ; car il faut ajouter qu’ici, comme fondateur d’une religion nouvelle et organisateur d’un nouveau culte, le ridicule en même temps que l’odieux est au plus haut degré.

« — Mais, me disait hier M. Cousin, en déplorant ce qui se prépare, M. Littré a promis de ne rien dire de tout cela dans son discours de réception.

« Je le crois bien ! L’assemblée si délicate qui fait l’honneur de l’Académie, en même temps que l’Académie fait quelquefois ses nobles délices, se lèverait tout entière pour sortir, si M. Littré, dans son discours, disait la millième partie de ce qu’il a imprimé. Pas une femme ne pourrait rester là, s’il y faisait entendre sa définition de l’amour, de la loi et de la liberté morale.

« Et je vais plus loin, l’Académie elle-même devrait sortir, s’il osait dire devant elle ce qui est, d’après lui, le principe de la société, des plus nobles esprits et de toute sociabilité humaine. Et si l’auditoire et l’Académie se taisaient devant le récipiendaire, il me semble que la vénérable figure de M. Biot se montrerait elle-même.

« M. Mignet, dont j’ai retrouvé du reste la fidèle bienveillance, me disait aujourd’hui en me parlant d’un autre candidat, qu’il ne comprendrait pas qu’on l’admît à venir faire des gambades sur la tombe du chancelier. Pour moi, je comprendrais encore moins que la science athée parût couronnée sur la tombe de M. Biot.

« Non, j’ose le dire, ce n’est pas la religion que je défends ici, c’est l’Académie ; c’est la raison, c’est l’esprit humain, c’est la philosophie, c’est la distinction du bien et du mal, c’est la loi, c’est la liberté morale, c’est-à-dire tout ce qui fait l’honnête homme sur la terre.