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« Mais c’est assez, monsieur, j’abuse de votre bonté. Tout ceci est d’ailleurs d’une telle amertume pour moi que je puis le dire : c’est aujourd’hui que j’expie l’honneur, que je n’ai pas mérité, d’être membre de l’Académie française.

« Veuillez agréer, monsieur, tous mes respectueux et dévoués hommages.

« Félix, évêque d’Orléans. »

« P. -S. — Je ne puis m’occuper de M. Littré comme je le fais, sans qu’il soit averti. C’est ce que je viens de faire.

« J’ai retrouvé hier une lettre curieuse, et je la mets sous vos yeux, sans en approuver tous les termes. Elle est de Napoléon, elle parle de l’Institut, et elle concerne l’athée Lalande.

« Vous l’avouerai-je ? Si j’avais lu cette lettre, sans connaître ni la date, ni la signature, c’est à vous que je l’aurais attribuée. »


Le 13 décembre 1803, Napoléon avait écrit de Schönbrunn une lettre à M. de Champagny, ministre de l’Intérieur, dont celui-ci fit donner lecture, le 26, devant l’Institut rassemblé. Elle était ainsi conçue : « C’est avec un sentiment de douleur que j’apprends qu’un membre de l’Institut, célèbre par ses connaissances, mais tombé aujourd’hui en enfance, n’a pas la sagesse de se taire et cherche à faire parler de lui, tantôt par des annonces indignes de son ancienne réputation et du Corps auquel il appartient, tantôt en professant l’athéisme, principe destructeur de toute organisation sociale qui ôte à l’homme toutes ses consolations et toutes ses espérances.

« Mon intention est que vous appeliez auprès de vous le président et le secrétaire de l’Institut et que vous les chargiez de faire connaître à ce Corps illustre, dont je m’honore de faire partie, qu’il ait à mander M. de Lalande et à lui enjoindre, au nom du Corps, de ne plus rien imprimer et de ne pas obscurcir dans ses vieux jours ce qu’il a fait dans ses jours de force pour obtenir l’estime des Savans ; et, si ces invitations fraternelles étaient insuffisantes, je serais obligé de me rappeler aussi que mon premier devoir est d’empêcher que l’on n’empoisonne la morale de mon peuple. Car l’athéisme est destructeur de toute morale, sinon dans les individus, du moins dans les nations.

« Napoléon. »