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que je répondais : « Ces enfans seront vos maîtres. » Ils n’ont pas attendu dix ans ; hier, ils siégeaient à la Commune de Paris, et vous avez pu lire quelques-uns de leurs noms au bas de ses décrets. Que l’on continue encore en France à montrer si peu de souci de la morale et des hommes ; qu’on accepte de tels comparses et dételles défaillances, non seulement à l’Académie française mais ailleurs aussi, et de nouveaux malheurs ne se feront pas attendre ! »

Le Journal des Débats répliqua qu’il avait parlé au nom des principes de tolérance et de modération qu’il avait toujours recommandés aux prêtres comme aux laïques, et que d’ailleurs l’élection de Littré avait été faite par ceux qui sauvaient aujourd’hui la France par leurs actes mieux que le vertueux prélat par ses discours. Le Temps, de son côté, faisait remarquer que Mgr Dupanloup s’était retiré, parce que l’Église voulait l’exclusion de ceux qui ne pensent pas comme elle. Mais pourquoi avait-il supporté Sainte-Beuve et cherché à écarter Littré ? C’était une inconséquence qui ne se justifiait que par cette doctrine : « Hors de l’Église, pas de salut. » L’évêque avait réuni dans son réquisitoire une masse effrayante de citations regrettables, et voici que les votans n’avaient voulu voir dans Littré qu’un savant et un lettré. Ils avaient reconnu au fond que toutes les opinions ont le droit de s’exprimer et qu’il n’appartient à personne de formuler à cet égard un jugement définitif. Le vote signifiait que l’État laïque et l’indifférence dogmatique étaient le fond de la société moderne. Le rédacteur du Temps donnait au vote du 31 décembre 1871 une signification plus étendue que ne comportait la réalité. L’Académie, qui avait reçu le même jour trois membres de la droite, le Duc d’Aumale, Camille Roussel et Loménie, avait cru bien faire en accueillant un membre de la gauche qui avait attendu huit années sans se plaindre, et était arrivé presqu’à la fin d’une œuvre admirable, le Grand Dictionnaire de la langue française.

L’Académie n’accepta pas la démission de Mgr Dupanloup, mais l’évêque n’y voulut jamais reparaître. Un article de son testament stipula que le montant de l’indemnité mensuelle, qui lui était attribuée comme à ses autres confrères, serait remis aux pauvres. Elle montait, à sa mort, en 1877, à six mille francs.