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étant déjà de l’Académie des savans, il n’y avait pas beaucoup de motifs pour l’appeler à l’Académie des littérateurs ; qu’un embarras autrement sérieux serait de faire l’éloge des œuvres du nouvel élu et que l’assemblée délicate qui faisait habituellement l’honneur de l’Académie, se lèverait tout entière, si on osait exposer devant elle les théories du nouvel académicien sur Dieu, l’âme, la pensée, la liberté morale, l’amour, l’homme, la sociabilité. « Je m’étais fait, disait-il, de l’Académie une tout autre idée. Je croyais et je crois encore que la France est attentive à ses actes, à ses paroles, à ses élections. Or, les doctrines de M. Littré sont de telle nature qu’avec elles nulle société, nulle religion, nulle philosophie n’est possible. Les sanctionner ainsi m’a paru impossible, car c’était porter un coup trop fort à la conscience publique. »

L’évêque d’Orléans croyait pouvoir ajouter qu’il avait pour garans de ces traditions Villemain et Cousin. Ni l’un ni l’autre n’admettaient que la qualité des doctrines importât peu à l’Académie, ils professaient que les erreurs fondamentales et la négation des vérités premières constituaient une indignité. C’est ce que Mgr Dupanloup avait résolu de dire en affirmant publiquement son mépris pour de pareilles doctrines, et les reproches de domination et d’intolérance n’avaient rien à voir en cette affaire. « S’expliquer en public, combattre, voter, c’est la liberté de discussion à laquelle succède, quand l’honneur de la conscience est en cause, la liberté de s’en aller. » On lui faisait remarquer qu’il restait bien cependant le collègue de Littré à l’Assemblée nationale. « Si 10 000 ou 100 000 électeurs d’une cité populaire votent pour un candidat révolutionnaire, je le déplore sans en être surpris. Mais que des électeurs, choisis au premier degré parmi les plus éminens, élèvent à l’honneur le plus rare, le professeur le plus connu de l’athéisme au lendemain de la Commune, ceci est à mes yeux lamentable. »

Ce n’est pas sans tristesse qu’il rompait les liens qui l’attachaient à l’Académie depuis vingt ans, mais il devait tout sacrifier à un devoir. Il avait pris pour juge de sa conduite le grand public français sérieux et conservateur, et il n’y avait pas là motif à s’égayer, car ce serait donner une preuve de plus de l’incurable légèreté qu’on nous reproche. « Vous êtes de ceux, faisait-il remarquer, en finissant, à son critique, qui après le Congrès de Liège, avaient dit : « Ce sont des enfans ! » et c’est à vous