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dévouement, « sorte de compensation que les Académies, dans leur indulgence, ne refusent pas d’accepter. »

M. de Champagny, qui le recevait, commença par le couvrir de fleurs. Il fit surtout l’éloge du savant philologue. « Quand nous travaillons à cette tâche principale du Dictionnaire, nous vous avons au milieu de nous ; nous vous consultons sans cesse, et presque toujours votre avis devient le nôtre. Votre Dictionnaire est comme un quarante et unième académicien muet et qui cependant a su répondre à presque toutes les questions. » Il multiplia ses complimens en l’honneur du savant émérite, estimé dans le monde entier pour la sûreté de ses recherches et la profondeur de ses connaissances. Puis, après l’éloge sans réserves de Villemain, il arriva, par un habile détour, aux graves questions philosophiques de la vérité absolue et des causes premières. « Il y a là, dit-il, des sujets que je ne veux pas toucher, encore moins discuter. Vous ne l’ignorez pas du reste, monsieur, c’est le littérateur, le philologue, l’écrivain que l’Académie couronne en vous nommant. Ce n’est pas le penseur ni le philosophe ; je ne dis pas le métaphysicien, ce titre ne vous plairait point. » Ici l’auditoire, pressentant des allusions délicates, devint très attentif. « Je ne rappellerai qu’en passant, déclara M. de Champagny, une absence, je ne veux pas dire une retraite, objet pour moi d’un regret personnel que mon cœur d’ami ne saurait taire. Mais laissez-moi vous le dire... Vous avez critiqué la science des faits et des choses visibles et tout sacrifié à l’Humanité. Vous avez défendu à l’homme d’aller au delà... Vous avez mis en interdit l’intelligence humaine. Mais soyez-en sûr, monsieur, pour le bonheur de l’Humanité, vous ne la déferez point et ne la referez. L’Humanité restera avec ses instincts qui ont besoin de la terre, mais qui ont besoin aussi d’autre chose que de la terre. La science, strictement bornée à l’élément matériel, ne suffira jamais à contenter l’Humanité. Il faut à l’homme un autre exercice et une autre satisfaction pour sa raison, d’autres consolations pour sa vie, d’autres espérances pour ses douleurs, d’autres fleurs pour honorer la tombe de ses pères, d’autres chants à chanter sur le berceau de ses petits enfans. »

M. de Champagny rappelait alors qu’Auguste Comte, le maître de Littré, avait éprouvé cela, lorsque, dans sa réaction mystique, il célébrait son culte sans Dieu et passait des heures