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c’est le blocus. Et puis vous avez les paquets de vos familles, les biscuits de votre gouvernement depuis le 1er juillet. — Mais nos paquets... : — Ah ! Ah ! Vos paquets sont ouverts ! Vos boîtes de conserves vous parviennent pourries ! Alors pourquoi celles de nos prisonniers en France sont-elles ouvertes aussi ? Vous n’avez pas de biscuits depuis le 1er juillet ? Ici vous êtes dans la zone des armées et nos besoins militaires passent avant les vôtres... »

23 août. — Nous travaillons toujours comme des bêtes de somme... Miracle ! On nous a menés aux bains ! Nous avions tellement de poux que l’invasion avait atteint les sentinelles et qu’il a fallu y remédier. Dans des cuves de ciment, trois par trois, un seau d’eau chaude à la cheville, on nous a mis à barboter. Cependant, nos vêtemens ont été passés dans une sorte de four de boulangerie, d’ailleurs à peine chaud.

Changement de secteur. Nous déménageons. Dans une école russe, perdue au milieu de la campagne au bord d’une route, réunis à un autre groupe de cinquante camarades, nous occupons une salle de classe. Nous allons travailler le long de la rivière l’Aa, qui coule lentement entre ses rives encaissées et d’où on entend distinctement le canon.

Septembre. — Cela sent l’automne. Les pommes de terre doivent être mûres. Un seul but, une seule pensée : pouvoir en arracher quelques-unes et, le soir, les faire griller au foyer de la cuisine.

Une période de pluies froides pendant laquelle nous n’avons pu travailler aux champs. Alors, pour nous occuper durant les heures réglementaires, on nous aligne le long des fossés pleins d’eau : armés de pelles, nous remuons la vase, rectifions les bords, les pieds dans l’eau, tout ruisselans, tandis que les sentinelles nous reprochent sans cesse de ne pas nous intéresser au travail, et tout le temps Los, arbeit, arbeit ! Allons, travaillez, travaillez ! Et ces heures sont tellement bêtes, inutiles, accablantes d’ennui, que par momens on se regarde désespérés.

Le froid est venu ; toutes les nuits, il gèle à blanc ; l’orge coupée que nous devons lier en bottes est couverte de givre. Nous avons peine à nous servir de nos mains endolories. Certains champs sont maintenant inondés. La faucheuse ne pouvant y aller, c’est nous qui devons couper à la faux.

Les champs de pommes de terre nous narguent. Ah ! ces