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dire... J’ai lu dans les journaux... Les « représailles » sont terminées : vous quitterez la Russie, Ce sera bientôt officiel. » Il a fini : nous ne sommes pas encore revenus de notre surprise, — et de notre joie ! Ainsi nous allons rentrer en Allemagne... Hélas ! Rentrer en Allemagne, c’est cela maintenant qui est pour nous une bonne nouvelle !

10 octobre. — Le départ est pour aujourd’hui. Rassemblement en pleine forêt, au petit chemin de for de campagne qui va vers Mitau. L’Hystérique assiste à l’embarquement, il nous régale de ses plus gracieux sourires, essaie d’engager la conversation avec les uns et les autres, de placer un bon mot… Nous laissons tomber dans un silence de glace ces gentillesses teutonnes : nos yeux se chargent de répondre pour nous.

Par Mitau et Tilsitt nous faisons route jusqu’à Eydekumen, gare frontière. Ici une cérémonie aussi nécessaire qu’imposante : la désinfection. En bordure de la gare, une quinzaine d’énormes bâtimens, qui sont de véritables usines. On peut y désinfecter deux divisions par douze heures. Dans chaque bâtiment mille hommes s’engouffrent. On se déshabille complètement et les vêtemens sont envoyés à l’étuve. Nus des pieds à la tête et passés à la tondeuse électrique, on nous tient par fournées, pendant dix minutes, sous une douche chaude. Ensuite on nous réunit grelottans. dans la vaste salle de réfectoire où nous est servie une soupe d’orge. Toujours nus comme vers, et nous donnant les uns aux autres le spectacle de notre étonnante maigreur, nous dévorons cette chétive pitance. Au comptoir, une jeune fräulein, aidée de son papa, vend des cigares et menus bibelots. Nous nous y pressons, La vue de nos académies ne l’effarouche pas. Les camarades de l’autre Kommando nous racontent leurs souffrances ; nous les reconnaissons, car elles ont été les nôtres. Et, le cigare aux lèvres, nous déambulons, attendant nos vêtemens. C’est d’un burlesque... colossal. Mais les Allemands ne sont pas sensibles au ridicule. Beaucoup des nôtres ont acheté la série de cartes postales-souvenirs consacrées à la gloire de la « désinfection. » Toutes les phases de l’opération y sont représentées, en des images d’une parfaite grossièreté.

12 octobre. — Immédiatement après, nous voilà brusquement empilés, par cinquante, dans des wagons à bestiaux et cadenassés. Impossible de s’étendre. De toute la nuit, pas un de