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DANS UNE MINE DE CHARBON

Novembre-décembre 1916. — Au camp de M... Ni lettres, ni colis, pas d’adresse à donner aux nôtres... La commission médicale suisse, qui est passée au lazaret, n’a visité que les malades proposés par les docteurs allemands eux-mêmes, et, naturellement, fort peu nombreux, parmi lesquels un aveugle, des grands blessés, un manchot... Nous avons réclamé le droit de nous présenter à la Commission, car parmi nous il y a des malades, des épuisés... Inutile, nous ne faisons pas partie de ce camp : on nous ignore. Nous écrivons aux Croix-Rouges, à l’ambassade d’Espagne : rien.

Voilà quatre semaines que cela dure. Un beau jour, on nous rassemble, les « représaillés » à part. Le feldwebel nous compte, nous répartit en groupes. On nous expédie dans une mine de charbon. Départ sur-le-champ.

Pendant deux heures de chemin de fer, nous traversons un pays hérissé de cheminées d’usines, ronflant, sifflant, soufflant parmi des nuages de fumée. Voici la mine, à laquelle est accolée une fabrique de « briquettes » qui dresse .devant nous ses énormes bâtimens. Trois gigantesques cheminées vomissent d’épais tourbillons, tandis que les vitres s’enflamment de lueurs soudaines. Du sommet de l’usine, un plan incliné plonge en terre. Dans un grand bruit de ferraille et de chaînes, les wagonnets montent et descendent. C’est un grondement continu, ce sont des ronflemens, des crissemens, des jets de vapeur, des coups de sifflet, un tapage infernal. Tout jusqu’au moindre brin d’herbe est couvert d’une poussière brune. Dans l’enceinte de la fabrique, se trouve une cité ouvrière en construction : c’est là qu’on nous installe au milieu des plâtras. Nous n’avons encore pu communiquer avec aucun des camarades qui travaillent ici. Nous sommes seulement avertis que nous aurons le jus demain matin à cinq heures et demie et travail à six heures, en relève de l’équipe de nuit, jusqu’à six heures du soir !

La nuit est descendue, sans que vienne à cesser le tintamarre de la fabrique. Nous couchons par terre, sous la garde de deux sentinelles. Nous avons la consolation de nous retrouver là, entre vieux camarades : depuis le début, nous avons été de