Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 44.djvu/437

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toutes les compagnies de représailles. Nous pouvons dire que nous en avons vu de rudes !

Réveil. Le jus à peine avalé, les sentinelles nous conduisent à la fosse, par le plan incliné. Il fait encore nuit : quelques lampes électriques percent seules le brouillard humide... Nous avons décidé de refuser le travail. Au moment où le contre-maître vient pour nous répartir entre les ouvriers civils, nous faisons dire par l’interprète au caporal chef de poste que nous refusons de travailler. A cette déclaration, il bondit, saisit le « Lebel » d’une des sentinelles et fait manœuvrer la culasse à grand fracas, en hurlant : « Vous allez voir ça, si vous ne travaillez pas ! Je sais, je sais, messieurs les Français. Nous avons les moyens de former les caractères. A droite ceux qui refusent ! » D’un bloc, nous passons tous à droite. Les sentinelles ricanent, coups de crosse, cris du caporal, du contremaître, des civils. Nous remontons. Entre la fosse et la fabrique, un terre-plein, le long du plan incliné. Brutalement, les sentinelles nous alignent sur un rang, à cinq pas d’intervalle les uns des autres. : Elles nous font mettre à terre nos capotes, nos gants, nos cache-nez et nous devons, n’ayant plus que notre petite veste, nous tenir au garde à vous, raides, immobiles, les mains aux cuisses. Deux sentinelles veillent à ce que nous ne bougions pas. Et on nous laisse là sous le vent glacial...

Devant nous trois petites baraques démontables, en bois, entourées de fils de fer, où logent les prisonniers travaillant déjà à l’usine. Derrière nous, le plan incliné où montent et descendent sans cesse les wagonnets, puis, dans des hangars, des trottoirs roulans qui amènent sans arrêt les briquettes, les déversent et chargent automatiquement les wagons. Par les baies des hauts bâtimens, on aperçoit des volans qui tournent, des bielles qui luisent. Il y a de grands halètemens de machines, des ronflemens de moteurs, et, dominant le tout, le bruit que font les briquettes en rebondissant sur la tôle et tombant dans les wagons, et encore le multiple ferraillement des chaînes qui remontent les wagonnets. Le vent fait tourbillonner des nuages de cette poussière noirâtre qui couvre tout dans ce pays.

Quelques camarades français sortent de leurs baraques, eux aussi noirs de suie, et nous saluent de loin : on dirait un défilé de fantômes. Les lampes se sont éteintes dans le jour blafard, et déjà nous sommes tout engourdis, les mains bleuies, le nez