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douleurs aiguës nous zèbrent tout le corps. Dix heures du soir. Les sentinelles nous rassemblent, et à grands coups de crosse, fouaillent notre lenteur : le fait est que, pendant quelques instans, nous sommes incapables de remuer : chaque mouvement est pour nous une souffrance intolérable : impossible d’enfiler les manches de la capote glacée. Remis en marche, tant bien que mal, nous allons comme des échassiers, on nous soutenant mutuellement. Nous venons de passer là, dans l’immobilité et le froid, quatorze heures atroces... A la cantine, une bouillie de farine, puis on nous enferme dans une salle glacée. Nous tombons à terre, grelottans et claquant des dents. Nous souffrons de tous nos membres, horriblement. Sommeil enfiévré, nuit de cauchemar...

Le réveil. Encore le même « Voulez-vous travailler ? » Alors, on ne nous renvoie pas ! Alors, il faudra en passer, encore une fois, par le bon plaisir allemand ! On nous ramène à la mine et nous refaisons le même chemin que la veille, plus pénible de toute la fatigue et la souffrance accumulées. Le froid mord plus cruellement ; la neige n’a pas fondu ; des stalactites de glace pendent aux fontaines. Dès les premiers pas, nous avons la sensation que nous sommes à bout de forces : nous avons peine à ne pas tomber. D’heure en heure, nous sentons que notre résistance fléchit : inversement les sentinelles sont plus vigilantes et les crosses plus agiles : combien de temps pourrons-nous encore tenir ? Le vent s’élève de nouveau et nous cingle au visage. La congestion nous menace : nous sommes pris de vertige. Plusieurs d’entre nous s’écroulent... Encore une fois, dans l’amer sentiment de notre impuissance, il nous faut céder. Quelle humiliation !

Et c’est cela qui est pire que tout ! C’est cela que nous n’oublierons jamais, jamais !

Donc, nous descendons « au fond. » La mine proprement dite est creusée à ciel ouvert à 40 ou 50 mètres de profondeur. On en extrait de la « lignite. » Tout autour, là-haut, les grands tas de déblais font plus lointain encore le ciel gris. Dans le trou d’enfer une obscurité où les machines ont l’air de travailler toutes seules. Des dragueuses, du bout de leurs longs bras de fer, traînent leurs godets grinçans. Le long des parois, des extracteurs à vapeur, tout crachant et sifflant, par grands gestes saccadés enfoncent une benne dans le charbon, la remplissent,