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coup de sonde synthétique au cœur des extrapolations qui ont amené, avant la guerre, des prévisions inexactes, — et dans la question que j’examine, le grand État-major de Berlin ne s’est pas moins trompé que les autres, — on trouve finalement que les fautes d’appréciation ont été non pas qualitatives, mais quantitatives. Autrement dit, on a mal prévu non pas la nature des événemens et des phénomènes, mais leur importance relative, non pas leur existence, mais leurs valeurs numériques et relatives. Je m’explique : on savait qu’il y aurait des blessures par balles, on savait qu’il y aurait des blessures par éclats ; mais on croyait que les premières seraient beaucoup plus nombreuses que les secondes. C’est le contraire qui est arrivé. Or, c’est cette erreur numérique d’appréciation qui a été cause et seule cause, — je l’ai établi ici même récemment, — des mauvaises directives données d’abord à notre chirurgie de guerre, pour laquelle il a fallu opérer, dans l’action même, un renversement complet de méthodes qui donne aujourd’hui les meilleurs résultats. C’est donc une petite inversion arithmétique, une petite différence statistique, entre les prévisions et la réalité qui a été cause de la révolution complète qui s’est produite dans les méthodes chirurgicales de guerre... A quoi tiennent souvent les événemens les plus graves ? A une décimale, au déplacement d’une virgule.

Par une coïncidence curieuse, c’est précisément la même erreur d’appréciation relative aux mêmes faits qui cause le retour vers l’armement défensif que l’on constate actuellement dans les grandes armées belligérantes.

En effet, du jour où il est apparu que les blessures par éclats de projectiles animés d’une faible vitesse étaient nombreuses, le problème s’est posé plus ou moins inconsciemment, chez tous ceux qui pensent, non pas avec lyrisme, mais avec précision, aux choses de la bataille, de la protection du soldat contre ces blessures.

Or, on peut citer ici des chiffres éloquens : dès le début de la guerre, ou plutôt dès que celle-ci s’est cristallisée en guerre de tranchées, est apparue la proportion considérable des blessés par projectiles à faible vitesse restante. Mais d’abord, une remarque s’impose pour éviter tout malentendu : les éclats d’obus, au voisinage du point d’explosion, ont une très grande vitesse, parfois supérieure à celle de la balle elle-même ; à cet endroit de leur trajectoire, ils ne seront pas mieux arrêtés que celle-là par un blindage ; mais, tandis que la vitesse restante de la balle reste considérable à toutes les distances de combat actuelles, celle des éclats d’obus diminue