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prix de conduite. Par ce mot, n’allez pas, s’il vous plaît, entendre seulement une honnête application, mais les dons naturels, une élégante sobriété, l’intelligence et le sentiment, le style enfin, et même car il en faut aux interprètes comme aux créateurs, et même l’imagination. Celle-ci, pour les spectateurs, se manifeste réellement par des images, par les gestes et la physionomie d’un chef d’orchestre, s’il est digne de ce nom. Alors, en écoutant la musique, on croit la voir aussi. On en suit les impressions, ou les reflets, non seulement sur un visage, mais sur un être tout entier qu’elle éclaire et qu’elle anime. Pendant le premier concert, nous observions, entre M. Rabaud et la symphonie en ut mineur, une action réciproque et constante, et des échanges mystérieux : tantôt la rencontre et l’accord, tantôt l’apparence d’un combat. Ici, le chef d’orchestre avait l’air de se jeter au-devant du flot sonore ; ailleurs, il semblait, avec une sorte d’effroi sacré, reculer devant lui. La symphonie en ut mineur ! Jamais elle ne nous parut plus belle, jamais elle ne nous retentit plus avant dans le cœur. C’était le jour qui suivit le nocturne attentat contre Paris. Et le peuple de Paris, oublieux du péril d’hier, insouciant du danger de demain, remplissait le vaste amphithéâtre, l’ébranlait de ses bravos et de ses cris. Il applaudissait avec enthousiasme une musique allemande, mais dont l’Allemagne a démérité pour toujours, et sentant cette musique digne de lui, et se sentant digne d’elle, il la faisait sienne et demandait un surcroît d’héroïsme à l’un des chefs-d’œuvre les plus héroïques du plus héroïque des musiciens.


« Piccolo mondo antico. » Le titre du célèbre roman d’Italie ne définirait pas mal un certain genre lyrique, français entre tous, et que vous devinez. Ce genre, ou ce répertoire national, abandonné par le théâtre officiel qui continue d’en porter, mais n’en mérite plus le nom, un gentil théâtre « d’à côté, » le Trianon-Lyrique, a pris le soin, un soin délicat et pieux, de nous le rendre. Nous avons entendu là des œuvres menues et délicieuses : Maison à vendre, de Dalayrac, et les Voitures versées, de Boïeldieu ; Rose et Colas (une petite merveille), de Monsigny, et l’Épreuve villageoise, de Grétry ; Joconde, de Nicolo, et enfin le chef-d’œuvre populaire et royal, sublime et familier, qui s’appelle Richard Cœur de Lion.

De tout temps, et dès l’origine, on a discuté sur la nature du genre et sur sa légitimité, sur ses droits à la dignité, voire à l’existence esthétique. Le mélange, ou plutôt l’alternative de la parole et