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termes également dépourvus de lyrisme, Blondel demande à deux pages de la comtesse Marguerite, de l’introduire auprès de leur maîtresse : « Il faut, il faut que je lui parle, Mon cher Urbain, mon ami Charle. » Assurément, ni la situation, ni les paroles, n’offrent ici rien de très musical, ou « musicable. » Grétry néanmoins a su les mettre en musique. Il y a trouvé la matière, — et l’on voudrait un mot plus léger, ressemblant davantage à cette musique même, — de deux trios délicieux.

Enfin, toujours à propos de la dualité musico-verbale qui caractérise l’opéra-comique, il se pourrait que le jugement le plus équitable eût été porté par un grand musicien que sa grandeur ne rend pas injuste pour les petits maîtres de notre art. M. Saint Saëns, il est vrai, commence par reconnaître « le petit choc désagréable qu’on éprouve au moment où la musique cesse pour faire place au dialogue. » Mais, ajoute-t-il aussitôt, c’est peu de chose auprès de « la sensation contraire » et de « l’effet délicieux qui se produit souvent dans le cas où le chant succède à la parole [1]. » Rien de plus exact. En ce dernier cas, il semble que la parole ait appelé, attiré la musique et qu’elle s’épanouisse en elle. Le style se hausse, mais ne se brise point. « L’effet délicieux, » qui rachète l’autre et l’efface, n’est pas de contraste ou de disparate, mais de progrès et d’élévation : différence non de nature, mais de degré seulement.

« Piccolo mondo antico. » La plupart des personnages qui le composent ne sont pas de grands personnages, hormis un Richard, un Blondel, deux héros d’exception. Mais comme ils sont bien pris en leur petite taille ! Pas très réels ? Peut-être. Mais qu’ils sont vrais, et vivants ! De quelle vie légère, de quelle naïve, ou maligne, ou touchante vérité ! Des figurines, soit ; mais des marionnettes jamais. Sur ce théâtre, les villageois occupent la première place. Jean-Jacques, avec son Devin, la leur a donnée. Notre comédie musicale, ainsi que l’autre, se plaît même, — voir l’Épreuve villageoise et Joconde,— à ménager aux petits contre les grands, aux paysans contre les seigneurs d’innocentes et spirituelles revanches. Les paysans dans la musique : il y aurait là, soit dit en passant, le sujet d’une intéressante étude. Elle déborderait le genre, l’époque de l’opéra-comique et s’étendrait non seulement à l’opéra, à l’oratorio, mais Jusqu’à la symphonie.

« Piccolo mondo... » A la représentation de ce petit monde, une forme de la musique, forme simple et populaire, se prête en quelque

  1. M. Saint-Saëns, Portraits et Souvenirs.