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n’est qu’un menu chef-d’œuvre mais l’air d’entrée de Colas : « C’est ici que Rose respire » l’inonde et le recouvre un moment d’un flot de jeunesse et d’amour. Ailleurs, de l’agrément et de la grâce, à quelle noblesse, à quelle dignité l’opéra-comique ne monte-t-il pas : « O Richard, ô mon roi ! » — « Si l’univers entier m’oublie... » Je doute lequel de ces deux chants a le plus de puissance dramatique : celui du sujet fidèle, ou celui du roi prisonnier. « O Richard, ô mon roi ! » Rappelez-vous seulement ce début, et cette double invocation, deux fois auguste, par le nom et par le titre donnés tour à tour avec même respect et même tendresse. Ici, pour le coup, nous reconnais- sons presque le style ou le ton de Mozart, et le « Don Giovanni ! » du convive de pierre. Les deux apostrophes se ressemblent un peu : l’une menaçante et terrible, l’autre à peine moins solennelle, mais avec sérénité. Dans l’air du héros captif, avec autant de force, je sens encore plus de majesté. Vers la fin, à ces mots : « O souvenir de ma puissance ! » le personnage se hausse à la taille des plus grands. Il égale un instant l’Othello de Shakspeare et Verdi. Une trompette sonne, et c’est assez de son lointain appel pour évoquer des visions de bataille, les bannières déployées, toute cette gloire enfin que pleure désespérément le More, et qu’un autre grand capitaine salue ici de moins éclatans, mais aussi magnifiques adieux.

Sans compter qu’il n’y a pas, après Orphée, d’opéra plus honorable que Richard Cœur de Lion, pour l’éminente dignité de la musique elle-même. La délivrance de Richard est due, comme celle d’Eurydice, à la vertu souveraine d’un chant. Ce chant de Blondel, « Une fièvre brûlante, » un enfant le jouerait au piano, rien qu’avec un doigt. On s’étonne qu’en si peu de mesures, en si peu de notes, tant de génie et de beauté puisse tenir. Depuis près de cent cinquante ans, que d’édifices sonores ont croulé, que de bruit s’est éteint ! Et les quatre ou cinq pauvres petites notes ont gardé toute leur éloquence. Elles n’ont qu’à résonner de nouveau, pour que tous, ignorans et savans, disciples des écoles les plus opposées et des maîtres les plus divers, nous sentions au fond du cœur ce que Lacordaire appelait un jour le glaive froid du sublime. Nous sommes ici sur l’un des sommets de notre art, et c’est une « romance » d’opéra-comique qui nous y a portés.

« Piccolo mondo antico. » L’âge aussi de ce petit monde en fait l’attrait. Nous l’avons dit naguère, et l’on nous permettra peut-être de le répéter, Richard a pour nous la poésie, un peu la sainteté d’une relique. Ce chef-d’œuvre d’un genre aimable parut à la veille de