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qui « rend le paysan orgueilleux, insolent, paresseux et plaideur. » — « On a la manie, écrit-on, de ne plus engager aucun domestique qui ne sache lire, écrire et calculer ; tous les enfans de laboureurs se font moines, commis de fermes ou laquais[1]… » Griefs semblables étaient soulevés contre l’éducation secondaire donnée dans les petites villes, même dans les bourgs, où les paysans « pouvaient faire leurs humanités. » Un autre se plaint, comme d’un danger public, de « la multiplicité des écoles publiques et gratuites répandues dans tout le royaume. » Ne voilà-t-il pas que les villageois sont lettrés et se mêlent de goûter les classiques ? « Je me rappelle, conte Frénilly, une représentation d’Athalie qui fut donnée par la famille de notre jardinier, à Saint-Ouen ; sa fille Manette, fort jolie personne de quinze ans, qui esherbait le potager le matin et étudiait son rôle le soir, représentait la reine des Juifs[2] ; » et tout ceci prouve au moins combien l’instruction était répandue et mise à la portée de tous. L’histoire serait-elle donc une science à ce point décevante que les mêmes faits, étudiés d’après les mêmes documens, pussent être présentés de façon si divergente par des compilateurs dont il n’est point permis de suspecter le savoir et la sincérité ? Si l’on acceptait la version des contempteurs du passé, il faudrait conclure que cette révolution rénovatrice a été désirée, préparée et conduite par des brutes illettrées et à demi-sauvages..

Ce qu’on ne peut nier au seul témoignage des contemporains, c’est que, dans la pratique, cette œuvre, aujourd’hui tant prônée de la Révolution, eut pour résultat de détruire ce qui existait et de ne rien mettre à la place. L’effort de sept siècles fut annihilé en moins de sept années, sans compensation d’aucun genre. Des cinq cent soixante-quatre collèges, prospères en 1789, il n’en subsistera que vingt en 1794 ; encore ces vingt établissemens seront-ils « agonisans. » — « L’éducation, dira Grégoire, n’offre plus que des décombres ; cette lacune de six années a presque fait écrouler les mœurs et la science[3] ; » et, quelques mois plus tard, Barbé-Marbois, dans un rapport au Conseil des Anciens, constatera que « les enfans qui avaient huit à neuf ans quand la Révolution a commencé

  1. Essai sur la Voirie, cité par Babeau : le Village sous l’ancien régime, p. 216.
  2. Souvenirs, p. 13.
  3. Moniteur, réimpression, t. XXII, p. 91.