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plus s’étonner, ou de la minutie scrupuleuse du travail préparatoire qui s’effectue dans cette réunion de patriotes éclairés, ou de la lenteur et des tâtonnemens qui semblent reculer le but où ils tendent. On voit passer, entre bien d’autres, dans ce rez-de-chaussée de l’hôtel de Brionne où siège le comité, Romme, Bancal, Rabaut-Saint-Étienne, Condorcet, Duhem, Fay-Sainte-Foix, qu’on disait être l’homme le plus spirituel de la Convention[1], Lakanal qui, bien que membre intermittent du comité, a usurpé l’importance de tous les autres et passe pour être le fondateur de l’éducation nationale[2]. C’était un excellent homme, — Jacobin, il est vrai, avant thermidor et antirobespierriste après ; mais tant d’autres ont chanté comme lui la palinodie !…

Un contemporain indépendant nous le peint « bon, simple, obligeant, mais imbu de systèmes et de théories, promenant partout avec lui une collection de règlemens, de projets de réformes dont il croyait la mise à exécution des plus faciles. » En mission dans la Dordogne, il était persuadé qu’il n’aurait qu’à parler pour réunir les ménages désunis, réconcilier les citoyens divisés et qui « ne vivent pas en frères, » aménager des voies de communication et trouver des maris aux filles-mères qui « après avoir manqué aux lois de l’honneur n’ont pu épouser leur séducteur[3]. » Bouquier, autre membre du Comité d’instruction, est assez agréable poète, peintre de talent, aimant les arts et la vie d’étude ; la Révolution l’a surpris, dans sa petite ville de Terrasson ; jusqu’alors, il a fait preuve de bon sens, d’ordre, de pondération ; mais il est promu législateur et, tout de suite, quelle métamorphose !… Il déraisonne. Lui aussi apporte son programme d’éducation nationale : il faut chasser dos collèges « l’immoralité, l’erreur, le mensonge, la superstition ; » il faut détruire ces antres « des atqui et des ergo ; » les plus belles écoles, « les plus utiles, les plus simples, où la jeunesse puisse prendre une éducation vraiment républicaine, sont… les séances publiques des départemens, des districts, des tribunes et surtout des sociétés populaires ! »

  1. Archives de l’Assistance publique. Manuscrit du conventionnel Bouquier cité par Defrance, la Conversion d’un sans-culotte, p. 214.
  2. Eugène Welvert, La légende de Lakanal, 1908.
  3. Docteur Poumiès de la Siboutie, 1789-1863, Souvenirs d’un médecin de Paris, p. 34.