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rare de trouver un jeune homme de quinze ans raisonnant sur les principes de la politique beaucoup mieux que les vieux conseillers de la Cour d’Autriche…[1]. » Les pères de famille, peu désireux d’entendre leurs enfants « raisonner sur les principes de la politique, » réclament opiniâtrement le retour aux traditions et aux institutions du passé. De Vienne, dans l’Isère, on écrit, dès l’an III : « Tout est détruit ; les gens à talens ont presque tous péri, et nous sommes tombés dans la plus affreuse barbarie. » Ceci résume l’état et le sentiment général du pays. Autant il serait injuste de nier la sollicitude théorique de la Révolution à l’égard de l’éducation de l’enfance, autant il est déconcertant d’entendre répéter que l’instruction du peuple est l’une des conquêtes de cette sublime époque et que la monarchie n’avait pratiqué en ces matières que la politique intéressée de « l’Eteignoir. » La Convention a émis et posé de grands principes, — celui de la liberté de l’enseignement, entre autres, — mais elle ne put leur faire franchir « le domaine de l’idée, » et on souhaiterait, pour la beauté et l’honnêteté de notre histoire, que ceux qui la travestissent imprudemment s’acquittassent de cette opération avec un peu plus de respect et de patriotisme.

Quelles pouvaient être, en ce grand désarroi, les impressions des enfans eux-mêmes, et quels souvenirs conservaient-ils plus tard de ces temps de vacances perpétuelles ou d’études intermittentes ? À lire ce que nous transmettent leurs récits, on sent qu’ils gardent la mémoire d’une grande secousse ; mais, pour l’âge insouciant qu’ils avaient à l’époque de la tourmente, toute nouveauté est amusement, tout bouleversement devient distraction, en sorte que leurs relations demeurent empreintes de plus d’étonnement que d’angoisse. Ainsi le marquis d’Hautpoul rapporte comme un simple détail de « couleur locale » valant à peine d’être consigné, que le professeur qui donnait, à Versailles, en pleine Terreur, des leçons de dessin à Mlle d’Hautpoul, « portait à la boutonnière le doigt d’un évêque tué par lui lors du massacre des prisonniers d’Orléans. » Hautpoul nous donne le nom de ce raffiné qui, en guise de fleur, ornait d’un débris humain le revers de son habit : il s’appelait

  1. Tableau analytique de la situation du département de la Seine, fructidor an VII, présenté au ministre de l’Intérieur. (Aulard, ouvrage cité, V, 115.)