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en ces matières gagna bientôt le pays tout entier. Comme un arbre qu’on a tenté de courber et qui, ayant rompu ses ligatures, se redresse et reprend sa naturelle et souple droiture, le peuple de France relevait la tête. Le cri de détresse qui monta de tous les points du territoire fut d’une unanimité saisissante. Ni villes ni villages ne voulaient plus de ces instituteurs de hasard, recrutés dans les bas-fonds de la politique, « pour des opinions étrangères au savoir, » et dont beaucoup étaient « non seulement ignorans et incapables, mais encore ivrognes et de mœurs dépravées[1]. » En vain Lakanal leur faisait-il porter au cou une médaille avec cette légende : L’Instituteur est un second père[2], on leur rendait la vie impossible : dans l’arrondissement de Bourges, « vingt et un n’ont pu s’installer à cause du prix exorbitant auquel les paysans leur vendent les subsistances[3]. » Là où les prêtres, les Frères et les ci-devant religieuses n’ont point trouvé le moyen ou n’ont pas reçu l’autorisation de rouvrir leurs anciens établissemens, l’organisation des écoles primaires est partout « nulle et dérisoire ; une immense population est condamnée à toutes les hontes et à tous les maux d’une complète ignorance… Deux générations de l’enfance sont à peu près menacées de ne savoir ni lire ni écrire, » constate Fourcroy contemplant avec mélancolie « les ruines de l’instruction. » Quelques agens du pouvoir ont tenté, il est vrai, de présenter comme un bonheur public cette situation désolante : l’un d’eux, constatant que les écoles primaires sont désertes, se console par cette considération : « Dans les campagnes, l’instruction est toujours républicaine, mais elle est presque nulle[4] ; » un autre proclame qu’« il y a mauvaise humeur, il y a mauvaise foi à dire que les dix années écoulées depuis le commencement de la Révolution sont perdues pour instruction publique… Si l’étude des belles-lettres a été interrompue, la jeunesse a reçu une instruction négative beaucoup plus utile ; les événemens lui ont formé le jugement et cette grande école vaut bien les bancs du collège… Il n’est pas

  1. Compte rendu par le citoyen Fourcroy, conseiller d’État, de sa mission dans la XIIe division militaire pendant le mois de nivôse an IX. (Félix Rocquain, L’État de la France au 18 brumaire, p. 162.)
  2. Alexis Chevalier, Les Frères des Écoles chrétiennes et l’enseignement primaire après la Révolution, p. 5.
  3. Victor Pierre, ouvrage cité, voir p. 146-147.
  4. Aulard, Réaction thermidorienne, V, 523.