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Et pas d’autre perspective, pour sortir de cet enfer, que l’exutoire du baccalauréat ; l’idée est obsédante que cette torture terminale ne sera plus ce qu’était pour nos pères l’examen de la fin des études, c’est-à-dire une simple constatation « de l’ouverture de l’intelligence et de l’aptitude générale, » mais que la manie des règlemens a substitué d’inflexibles questionnaires au paternel arbitraire de l’examinateur[1], Alors les enfans appellent de tous leurs vœux des dénouemens impossibles et d’extravagantes solutions : l’un pense à gagner « les îles » et à devenir chasseur de chevelures ; un camarade de Maxime Du Camp, à Saint-Louis, compte se faire brigand s’il échoue à son examen. « Rien n’est plus facile, rien n’est plus beau que d’être bandit ; on assassine quelques personnes, les premières venues, au hasard du couteau ; puis on se jette dans le maquis, on y vit en plein air, libre et redouté, on tue des mouflons pour se nourrir, et l’on est aimé de toutes les filles du pays[2]. » Les années scolaires passent, le temps du lycée s’achève, et l’on sort de là avec peu d’instruction, beaucoup d’idées fausses, avec le remords d’avoir perdu son temps, avec le dégoût des méthodes à la fois pesantes et superficielles, et la résolution bien arrêtée de ne plus jamais rouvrir un de ces livres sur lesquels on a tant dormi, ou la curiosité de lire quelques-uns de ces vers qu’on a si souvent copiés. C’est de cette époque, proclament les aristarques, que date la trop réelle décadence du goût littéraire.


De nos jours, les choses ont bien changé : outre que la discipline intelligente y est réduite au minimum de sévérité, les lycées sont des palais ; vastes portiques, salles claires et aérées, dortoirs modèles et superbes jardins ; le programme des études, lui aussi, est fastueux : il comprend, à vrai dire, l’universalité des connaissances humaines, mais en l’engraissant progressivement de la sorte, les hommes éminens qui se sont succédé à la direction de l’Université de France ont cédé à un entraînement universel et subi une impérieuse contagion. Nos enfans eux-mêmes ne s’effraient plus du rude apprentissage qu’on leur dit indispensable ; ils ne sont plus, comme leurs aïeux,

  1. V. de I.aprade, L’Éducation homicide, 58-66.
  2. Maxime du Camp, Souvenirs littéraires, 1, 94.